(ou comment transformer sa vedette en sloop par l'adaptation d'une voile de planche)
Partant du principe qu'un bateau de plaisance nécessite une force de traction moins importante qu'un chalutier, Paul de Haut a trouvé intéressant de se pencher sur les possibilités de transformation d'une vedette hollandaise (ou cabinier) en sloop (vedette mixte voile/ moteur) en adaptant une voile King-size de planche sur le Rusina (11 m pour 10 tonnes).
Voici le compte-rendu de sa démarche et des essais effectués sur mer, sur fleuve et sur canal.
Génèse du projet
Ancien voileux versus Glénans et véliplanchiste à ses heures, il n’en fallait pas plus pour que le navigateur sur vedette mixte se lance dans le projet à l'occasion d’une saison de cabotage dans le golfe du Lion en 2011 en s'engageant dans cette expérience singulière.
Les motivations étaient multiples :
- la nostalgie de la navigation à voile, restant la plus éconologique (*) de tous les moyens de propulsion marine.
- le fait que sur fleuve, nombre d’embarcations de fret naviguaient à la voile jusqu’au début du XXéme siècle, tant sur la Loire que sur le Rhône.
- la réalité actuelle de la navigation à la voile où, depuis l’obligation des manœuvres portuaires au moteur, de nombreux plaisanciers combinent voiles et moteur, notamment en conditions de pétole (**).
(*) L'« éconologie » est une approche pragmatique de l'écologie, qui souhaite réconcilier des logiques souvent décrites jusqu'alors comme étant antagonistes. Les éconologues travaillent à l'étude, la mise au point et la promotion de solutions plus respectueuses de l'homme et de son environnement tout en étant compatibles avec une réalité socio-économique, existante ou en devenir, mieux maîtrisée.
(**) Se dit de conditions météorologiques caractérisées par de trop faibles vents pour naviguer à la voile.
La préparation
Comment adapter un gréement de planche à voile "Bic" sur un des roofs de la vedette, et plus précisément : « à quel niveau » et « comment » ?
Les deux étant liés, il convenait d’étudier de près les plans des bateaux fluviaux à voile et de se rapprocher des quelques « merveilleux passionnés » qui les reconstruisent et surtout savent encore les utiliser.
En effet, la caractéristique commune à nos vedettes est de ne pas être quillées tout en ayant des formes de carène rappelant plus les chalands que les voiliers.
Les conseils du désormais fameux « Bibi », spécialiste de la marine de Loire, lui a - à cet égard - été d’une aide précieuse.
Le mât et sa fixation
L'embase de mât est réalisée en inox, celui-ci vient se loger dedans avec un débattement d'un ou deux millimètres.
La version béta se contentait de lui assurer une fixation amovible sur le premier roof (qui respectait plus le positionnement courant sur une planche à voile) avec l’idée de maintenir sa mobilité sur 360° pour bénéficier du même éventail de réglages.
Un simple essai au port a permis de se rendre compte que cette option engendrait plus d’inconvénients que d’avantages et était - en réalité - ingérable.
La deuxième version, plus inspirée des chalands à voile, positionnée plus en arrière que le modèle précédent, est fixée sur le second roof de sorte à laisser une mobilité uniquement dans le sens longitudinal tout en prévoyant un blocage avant ou arrière, pour à la fois limiter le nombre de haubans et faciliter un démâtage express.
Il s'adapte sur la platine de fixation du mât de feux, au niveau du premier tiers du bateau (petite précision qui a son importance : il s'agit d'un mât creux en carbone, c'est à dire très léger).
Autre amélioration, la pièce a été prévue pour pouvoir basculer le mât soit vers la proue, soit vers la poupe par simple inversion du manchon de bas de mât ; au final, le basculement vers l’avant va se révéler le plus pratique et sera adopté, vérifiant une fois encore le bien fondé du système généralisé sur les "tirots" de Loire.
Le haubanage et l'écoute
Après mûres réflexions, le choix d'un double haubanage en câble acier de 5 mm, largement suffisant pour la voilure s'est imposé ; il est fixé sur le pare corps au moyen de boucles avec étriers de serrage (cadènes), qui permettent d’en régler la position assez facilement.
La longueur des haubans est ajustée au moyen de deux serre-câbles classiques.
Côté écoute, c'est celle d’origine de la Bic qui est utilisée ; elle arrive au niveau du poste de pilotage arrière où elle est fixée à des étarqueurs situés de chaque côté.
Une petite poulie intermédiaire permet de soulager l'effort nécessaire.
Les essais
Au large de Beauduc
En mer, entre Beauduc et les Saintes-Maries, la voile est emmanchée sur le mât en carbone, constitué de deux parties creuses.
Le pied de voile est tendu à l’aide d’une écoute courte au support de mât (en utilisant celle de la planche à voile), tandis que la bôme maison en bambou est maintenue entre les œillets de la partie basse de la voile.
Le mât est ensuite dressé en tirant sur les haubans, la voile étant libre, se met à faseiller stimulée par une petite brise de force 2 à 3.
Le double hauban est alors ajusté sur les garde-corps.
Nous relevons l'ancre, et prenons le vent en direction de l'Ouest ; ça marche, après quelques réglages, la voile prend une belle courbure, gonflée par la douce poussée de la brise Sud-Est et les 10 tonnes sans quille ni dérive, voguent entre 1,5 et 2 nœuds.
Le bateau est bien équilibré à telle enseigne que l’on peut lâcher la barre sans perdre le cap.
Deuxième essai en Méditerranée
Passé le Cap d’Agde en direction de Frontignan, nous gréons à nouveau la voile, mais le vent toujours orienté Sud-Est n'offre pas d'allure portante et nous devrons naviguer en laissant le moteur à 1000 tours (150 tours au dessus du ralenti) pour garder le cap, sans dérive.
Une fois viré sur bâbord le fort de l'île de Brescou, le réglage de la voile devient plus facile puisque nous pointons vers un cap plus au Nord-Est.
Le bateau file gentiment ses 4 à 5 noeuds.
Lorsque le vent tourne plus au sud, cette petite brise nous permet de mieux profiter de la voile.
Les rares voiliers croisés sont très étonnés et admiratifs de notre configuration en sloop avec une voile si peu académique...
C’est aussi l’occasion de tester la facilité de l’opération d'affalage rapide du gréement.
Troisième essai entre Palavas et le Grau du Roi
La mer est significative mais encore confortable ; une légère brise Sud/Sud-Est se manifeste de temps à autre : la voile est envoyée, tout en laissant le moteur à 1000 tours, toujours pour stabiliser la dérive.
Nous avançons un petit 5 noeuds.
A la vue du château d'eau du Grau le moteur est complètement coupé pour finir à la voile.
A la limite de la bande des 300 mètres, nous mouillons entre le chenal du Grau du Roi et Port Camargue.
En eaux intérieures
La routine de d'affalage de l'ensemble mât-voile étant maintenant suffisamment maîtrisée en moins de 2 minutes, nous pouvons maintenant utiliser la voile en eaux intérieures, lors de notre remontée du canal Louis entre Aigues-Mortes et le Petit Rhône, puis ensuite sur le grand Rhône, sur lequel seront établies des mesures de vitesse au GPS.
Les mesures
Les essais visant à quantifier l’efficacité de la voile ont été effectués à la fois en mer, sur rivière, fleuve et canal, mais les lecteurs du magazine Fluvial étant plus nettement pratiquant des eaux intérieures, voici un panel de mesures réalisées sur le Rhône.
Outre l'effet propulsif de la voile, celui du pare-brise et de la capote, dont il avait été remarqué la contribution en vents favorables, sera également évaluée dans différentes configurations d'emploi.
Lieu |
configuration |
vent |
Moteur (tour/mn) |
Courant négatif |
Vitesse fond (GPS) |
Vitesse réelle |
Rhône |
Rien |
Arrière
15 km/h |
950 t/mn |
2,5 km/h |
3,5 à 4,2 km/h |
6 à 6,7 km/h |
Rhône |
Voile seule |
Arrière
15 km/h |
950 t/mn |
2,5 km/h |
4,5 à 5 km/h |
7 à 7,5 km/h |
Rhône |
Voile + Pare-brise |
Arrière
15 km/h |
950 t/mn |
2,5 km/h |
4,7 à 5,2 km/h |
7,2 à 7,7 km/h |
Rhône |
Pare-brise + capote |
Arrière
15 km/h |
950 t/mn |
2,5 km/h |
4,8 à 5,6 km/h |
7,3 à 8,1 km/h |
Rhône |
Voile + PB + capote |
Arrière
15 km/h |
950 t/mn |
2,5 km/h |
5,5 à 6 km/h |
8 à 8,5 km/h |
Nota : en mer, avec une brise grand largue d’environ la même valeur et le moteur tournant au même régime, la vitesse mesurée au GPS avec la configuration voile + Pare Brise + capote était de l’ordre de 4,5 à 5 noeuds, soit 8,3 km/h à 9 km/h (ce qui correspond à 1450 t/mn en utilisant la vedette uniquement au moteur).
Fiche technique
Vedette hollandaise en acier
Constructeur : MERENKRUISER
Longueur : 11 m
Largeur : 3,30 m
Poids : 10 tonnes
Tirant d’eau : 0,90 m
Tirant d’air : 2,45 m
Moteur in-board : Mercedes OM 352
Hélice : 4 pales
Réducteur : Paragon 2 : 1
Mât carbone : 5 m
Voile : Bic HIFLY 78 King-size de 5,6 m2
Bôme : bambou.
La voile latine
L'idéal serait (d'une manière générale) de pouvoir adapter une voile latine à nos bateaux à moteur.
Pourquoi ce choix ?
D'abord parce que la voile latine est l'une des mieux adaptées au cabotage en même temps qu'à des profils de carènes non taillés pour la vitesse, comme le sont nos vedettes ou trawlers.
Mais également car ces gréements restent relativement performants pour remonter au vent, ce qui offre un éventail d'allures plus important dans les possibilités d'usage.
Présentation
Cette voile triangulaire équipait traditionnellement les caravelles, felouques, tartanes et autres pointus...
L'ensemble est constitué d'une voile fixée sous une vergue (ou "antenne") plus longue que le mât ; cette dernière est répartie en deux parties (la "penne", plus flexible et en partie basse le "quart", plus rigide) liées entre elles par des "roustures" autour d'un point de suspension (bout de corde qui tient une poulie ou "bragot") ; les éventuelles bandes de ris sont hautes et parallèles à l'antenne et il n'y a pas de bôme.
Enfin, elle est inclinée et arrimée à la proue au (point d'amure).
A l'arrêt, la voile est ferlée sur la vergue, celle-ci étant affalée sur le pont.
Limites
Ce n'est indéniablement pas facile d'effectuer un virement de bord, puisqu'il faudrait dans l'absolu changer l'antenne de côté par rapport au mât pour optimiser le rendement.
En réalité, la plupart du temps, lorsque l'antenne se trouve au vent, une partie de la voile latine est plaquée sur le mât, avec forcément une petite perte de rendement.
Autre piste
Qui n'a pas rêvé de faire avancer les bateaux à voile face au vent sans pétrole.
Comme Mr Cousteau à peu près... Alcyone...
Conception : mât d'éolienne verticale pour créer une rotation sur axe vertical.
Renvoi d'angle et transmission à l'arbre d'hélice.
Et les voiles pour les allures portantes.
Donc hybride : énergie éolienne 100 % et navigation 360°.
Qui a déjà étudié ce principe ou connaissez-vous des partenaires qui pourraient étudier la faisabilité ?
Précisions
Historique : Cousteau avec le moulin à vent et Alcyone.
Une éolienne hélicoïdale avec renvoi d'angle sur arbre d'hélice à fixer sur le tableau arrière, pour une propulsion complémentaire.
Un catamaran avec turbo-voile "éolienne/hélice" en propulsion unique ?
J'imagine un diamètre de 3 mètres avec pâles verticales de 1 mètre (demi hélice d'avion), un mât central avec roues support de ces pâles selon le principe de l'éolienne gigogne pour former un "cornet de glace renversé".
Le contrôle de la montée des éoliennes se ferait par roue supérieure tenue par les haubans.
L'idée serait de réétudier la turbo-voile et la faire évoluer, car elle n'a peut-être pas été exploitée depuis longtemps ?
Je ne suis pas ingénieur mais Cousteau a traversé l'atlantique avec "Moulin à vent" ?
Michel van Vooren
Tel : 04.75.09.06.32
Notre avis
Nous n'avons pas encore étudié ce dispositif qui pose essentiellement des problèmes d'ordre mécaniques pour le renvoi vers l'arbre, mais sur le principe, il nous semble très intéressant à plusieurs endroits :
- Permet en effet une navigation à 360°, lorsque les vents ne sont pas trop forts (en effet au delà d'une certaine force de vent, la dérive serait plus importante que l'avancement).
- Contrairement aux voiles traditionnelles, toutes les turbulations aériennes deviennent profitables.
- Par contre, ce type d'éolienne occupe une place non négligeable sur un pont ou un roof et risque d'augmenter le tirant d'air pour un usage en eaux intérieures (passage sous pont ou dans les écluses) ; le fait de la rendre escamotable complique encore le montage.
Nous publierons avec intérêt toute expérience qui nous serait communiquée en ce domaine.
Autres liens connexes
- Voiles et cerf-volants de traction
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