L'osmose est la hantise des propriétaires de tout bateau construit en polyester stratifié ; un mal endémique risquant d'endommager la coque, au même titre que l'électrolyse s'attaque aux coques acier.
Ce phénomène est pourtant considéré comme normal dans le vieillissement d'un bateau polyester même si il influence parfois exagérément la dévaluation d'un bateau d'occasion.
Entre peur irrationnelle et réalité, que faut-il en penser ?
Peut-on la prévenir et comment la guérir ?
L'osmose
Définition
L'osmose est un phénomène physico-chimique dû au vieillissement du polyester qui constitue la coque de nombreux bateaux dits « plastiques » au bout de 10 à 15 ans.
A noter tout de même qu'il existe des bateaux qui ont passé 30 ans sans souci d'osmose ; ils ont été produits dans "de bons chantiers" ayant employé une excellente qualité de résine, notamment.
L’osmose bénéfique
Si elle existe à l’état naturel dans les corps vivants, la technique de l’osmose ou de l’osmose inverse maîtrisée s’applique bénéfiquement dans de nombreux domaines tels que la filtration de l’eau ou sa dessalinisation pour rester dans le domaine de la plaisance.
Détection
L'osmose se produit lorsque le gelcoat (couche de protection dure servant d’enveloppe au polyester de la coque) perd son étanchéïté ; dans un premier temps, de minuscules cloques apparaissent sur la carène.
Lorsqu’on perce ces cloques, il se dégage une odeur de vinaigre caractéristique de l'acide acétique.
Explication
Dans le cas de l'osmose affectant la coque des bateaux c'est la différence de concentration des liquides en présence (eau et acide acétique issu de l'hydrolyse de la résine) qui entraîne le passage de l'eau à travers le gelcoat dans la première couche de stratification.
Pour préciser un peu plus, ce phénomène est causé par la semi-perméabilité du gel-coat.
L’eau traversant cette paroi va se mélanger avec les composants solubles du stratifié, créant un liquide plus concentré à l’intérieur qu’à l’extérieur du gel-coat.
La nature cherchant à rétablir les équilibres, l’eau extérieure tente de réduire cette concentration en passant à l’intérieur, créant un appel aboutissant à une augmentation du volume de liquide à l’intérieur du gel-coat, donc de la pression, qui provoque le cloquage du gel-coat.
Lorsque la bulle éclate, l’équilibre est rétabli, mais le stratifié est en contact direct avec l’eau qui agit comme un solvant et amorce un phénomène d’hydrolyse.
Mesure de l'osmose
On sait déterminer si une coque est atteinte, et mesurer son taux d’humidité qui traduit la porosité des premières couche de tissus.
Mais même avec des mesures ultrasoniques, les plus performantes dans le cas de délaminages, il reste difficile d’annoncer sans risque d’erreur le stade de développement du phénomène car il se développe différemment en fonction des conditions de construction de la coque.
Ainsi, si l’on peut déterminer qu’il est temps de traiter le problème, seul un rabotage du gel-coat offrira une vision précise de l’état du stratifié.
Le sablage, risque de masquer des défauts plus profond dans le stratifié, avec donc la possibilité de les traiter.
Effets
Cette pénétration d'eau dans les tissus de verre détruit leur rigidité et peut entraîner à terme une délamination totale de la coque.
Mais le problème majeur de l'osmose est qu'elle aboutit à un phénomène d'hydrolyse, qui provoque une dégradation lente mais irréversible de la résine et du tissu au contact de l'eau.
Cette dernière, attirée vers les cavités créées dans le stratifié, s'y combine avec les molécules du polyester et se transforme en solvant.
Dans les cas extrêmes, sans sa gaine de résine, même la fibre de verre finit par se désagréger et pourrir.
Particularité
Une fois la barrière étanche du gel coat passée, l'eau douce moins concentrée que l'eau de mer accélère l'attaque osmotique des coques.
Autre source à prendre en compte
Les eaux de cale peuvent également enclencher l’osmose de la coque ; il n’est donc pas inutile de faire une application époxy préventive dans la partie de cale où de l'eau stagne régulièrement.
En tout état de cause prenez l’habitude d’assécher vos cales et la précaution de peindre les fonds de cale le plus tôt possible aprés l'achat du bateau.
Prévention de l'osmose
Premier conseil, éviter de faire un traitement préventif, passant par le ponçage d'un gel coat neuf...
De façon plus générale, pour prévenir l'osmose, il faut donc supprimer le contact avec l'eau.
En sortant le bateau la moitié de l'année, le phénomène s'inverse et l'eau qui a pénétré dans la résine peut ainsi s'évacuer.
Autrement, il existe des traitements anti-osmose préventifs, mais cela reste onéreux.
La plupart du temps on vous proposera une résine époxy en phase aqueuse (hydrodiluable) sans solvant présentant une étanchéité sans faille qui s’applique sur le gel-coat afin de le protéger des micro-infiltrations d’humidité.
Il faut compter environ 35 € TTC / m² pour un bateau neuf.
Traitement de l'osmose
Le traitement de l'osmose se réalise en 3 phases :
1 - Sortie d’eau et mise à nu de la coque
Jusqu'à la première couche de fibres polyester, au moyen d’un sablage ou par un rabotage complet du gelcoat (*) afin de faire sécher la coque à l'air libre pendant 3 à 6 mois pendant l'hiver (2 à 3 mois suffiront en été).
En cas de doute, mieux vaut contrôler l'humidité de la coque avec un testeur (un hygromètre professionnel coûte environ 200 € et se trouve facilement dans les boutiques spécialisées sur Internet).
(*) Attention de ne pas avoir la main trop lourde pour le rabotage, au risque d’affaiblir la solidité de la coque. C'est en fait le rabotage du gel-coat qui est le plus difficile et pénible physiquement.
Conseil du spécialiste :
Les délais de séchage sont donnés au mini dans le cas d'osmose réelle... pour un bon boulot il faut une année : 6 mois d'hiver pour le rincage naturel à l'eau de pluie, puis attendre fin août / début septembre, pour le traitement.
2 – Reconstitution de la barrière étanche
A l'aide de produits époxy spécifiques (** sans solvants), à exécuter dans un hangar ou à l'air libre mais dans un taux d'humidité extérieur inférieur à 65 %.
(on peut également utiliser des résines époxy, faiblement solvantés, mais cela implique un ponçage indispensable entre chaque couche). Même si ce travail est à la portée d’un bricoleur patient et soigneux, il convient de respecter à la lettre les températures, temps de séchage et degrés hygrométriques préconisés pour ne pas rater cette étape cruciale.
Sinon, mieux vaut confier l’affaire à un chantier qualifié, de préférence !
2 ou 3 couches à la brosse, au rouleau ou au pistolet, sont généralement nécessaires avec séchage et ponçage intermédiaire.
(**) L'évaporation des solvants crée des micro-bulles enchâssées dans le stratifié et constituent autant de cavités favorisant une osmose future.
3 - Protection antifouling
Après un nivellement par ponçage de la dernière couche d'époxy, passer l'accroche primaire antifouling (si nécessaire) puis la couche d’antifouling.
Faire ou faire faire ?
Un traitement professionnel coûte cher, ce qui s’explique entre autres par la pénibilité du travail, les charges et la marge bénéficiaire nécessaire pour une garantie commerciale qui de toute façon ne dépasse jamais 5 ans.
Cela amène à se demander si les chantiers doutent de la qualité de leur traitement, et/ ou les fournisseurs de celle de leurs résines.
Quoi qu'il en soit, ce traitement vous sera facturé à partir de 250 € TTC au m².
Pérenité du traitement
Alors faut-il recommencer le traitement anti-osmose tous les cinq ans ?
Dans la majorité des cas, non.
Par contre, il est possible que des zones échappent à toute possibilité de traitement complet, en particulier lorsque la face intérieure du bordé est doublée de mousse isolante emprisonnant l’humidité...
Peut-on acheter un bateau osmosé ?
L’assistance d’un expert peut se révéler nécessaire à ce stade pour évaluer l'état exact de cette dégradation.
Un début d’osmose peut être considéré comme normal pour un bateau de plus de 20 ans, mais être le signe d'un moulage défectueux pour un bateau de moins de 5 ans.
Il est d'usage dans le premier cas de faire baisser le prix de la côte du montant estimé d'un traitement curatif.
Dans le second cas, évitez de vous lancer dans l'aventure...
Cas particulier du "strip-planking"
Les bateaux construits avec cette technique qui consiste à stratifier un bois léger sur les deux faces, limite les effets de l’osmose et assure la bonne protection du bois de structure inclus, même après plusieurs dizaines d'années.
Une autre explication au bon vieillissement de ce type de coque : le strip-planking est réalisé avec de la résine époxy tandis que les autres constructions navales le sont la plupart du temps à base de résines polyester qui sont meilleur marché (voir à ce sujet les précisions d'Alain, dans la partie forum en bas de page).
Pour en savoir plus
Il existe une étude sur l'osmose très complète (78 pages) disponible sur Internet ; son auteur Gérard BOULANT est Ingénieur ICAM (Institut Catholique des Arts et Métiers de Lille) mais surtout Expert Maritime Plaisance voile/moteur, il a toujours travaillé dans des chantiers de construction navale.
Forum
Il existe deux qualités de résines polyester : "orthophtalique et isophtalique" ; seule la 2éme aurait due être employée en usage marine ou eau douce ; c'est pourquoi certains bateaux sont peu attaqués par l'osmose. Donc pour les bricoles, réparations ou autre... faire attention à bien acheter que cette qualité de résines, et si ce n'est pas indiqué sur le pot, allez voir ailleurs (on trouve chez les "ship" sur la côte la mauvaise qualité et ils ne sont pas au courant de la différence) navrant !
De même, ne jamais diluer le gelcoat avec de l'acétone mais avec du styrène monomère (l'acétone a la particularité de stopper la réaction de polymérisation (bien sûr, elle va s'évaporer mais elle aura inihibé les liaisons qui auraient dûes se faire dans le matériau). Et pourtant on enseigne cette technique en Bretagne à ceux qui vont faire de la réparation navale !
Pour l'osmose mieux vaut faire les réparations avec une résine époxy qui est vraiment trés adhésive avec un retrait inférieur à 1 % alors que le polyester n'est que peu adhérent avec un retrait de 7 a 8 % ; donc en cas de choc ou tension importante cette réparation va se décoller trés vite.
(Conseil d'un ancien responsable atelier polyester dans l'industrie... mais pas marine).
Alain
Eviter les traitement préventif préconisés par les marchands de peinture... [business] sauf peindre éventuellement avec polyuréthane les parties immergées si nécessaire (bateau neuf).
Ne pas se prendre la tête avec un début d'osmose à la sortie du bateau pour le carénage (meuler fin les plus grosses cloques, assécher la plaie avec un tampon d'acétone, lisser au mastic époxy, puis peindre chaque réparation avec un bi-composant pour finir avec l'antifouling général). La suite sera pour l'année prochaine... Profitez de votre bateau, pas de vos outils...
Jean-Noël G. |