Prenant le relais des lavoirs, l'installation des bateaux-lavoirs sur nos rivières remonte au milieu des années 1860 et va se généraliser vers 1900 jusqu'à faire partie du paysage de toutes les berges des centres de villes fluviales.
Victimes du progrès et de la démocratisation à la fois de l'accès à l'eau courante "à tous les étages" et des machines à laver domestiques, ce n'est qu'un siècle plus tard qu'ils vont, petit à petit, être abandonnés ou "déchirés".
Historique
Le système des bateaux-lavoir (appelés aussi "bateaux de selles" ou "bateaux buanderie") s'est généralisé en quelques années (entre 1861 et 1870), comme en témoignent les nombreuses demandes d'autorisation qui seront déposées à la Division des Travaux Publics) qui gérait ce secteur à l'époque.
Le gouvernement avait la volonté d'améliorer l'hygiène publique, tandis qu'une population qui venait s'installer en ville, découvrait des habitudes vestimentaires nouvelles avec l'utilisation d'habits plus légers en coton, qui nécessitait des lavages plus fréquents.
Par ailleurs, les blanchisseries traditionnelles sont encore peu nombreuses et les lavoirs existants peu commodes en l'absence d'eau chaude et soumis aux aléas climatiques.
L'historien fluvial Paul de Haut, écrit dans son ouvrage "Nevers au fil de l'eau" :
"A l'époque où la machine à laver est un élément de confort dont chaque français bénéficie, il est difficile pour les jeunes générations d'imaginer ce que cette tâche pourtant incontournable représentait encore au début du XXéme siècle, en contrainte de temps et de peine.
La corvée du linge était d'ailleurs un curseur fiable pour stratifier le niveau social des familles.
Deux catégories principales se détachaient : « celles qui font » et « celles qui donnent à faire ».
Une autre distinction s'établit dans les deux cas : celles qui font au bord de l'eau, exposées à tous les temps et celles qui ont accès à l'eau chaude, accomplissant cette tâche sans avoir à s'agenouiller, dans le relatif « confort » des bateaux lavoirs à l'abri des intempéries."
Enfin, la réalisation de quais mieux aménagés pour à la fois développer le commerce par voie d'eau et lutter contre les crues dévastatrices, a favorisé l'apparition des bateaux-lavoirs et leur multiplication au sein des villes fluviales.
Victimes de leur succès, on observe entre 1895 et 1910 un renouvellement important de la flotte des bateaux-lavoirs qui deviennent plus long que les bateaux de la première génération à un niveau, construits entre 1865 et 1875.
La longueur la plus fréquente pour les bateaux construits vers 1900 passe de 20 à 30 m pour une largeur de 5 m.
Après la Libération
Les années soixante sont une période de transition, car les machines à laver familiales commencent à équiper les foyers et remplacent peu à peu les laveuses.
Des considérations esthétiques se font aussi jour sur les centre-ville, si bien que l'installation de nouveaux bateaux-lavoirs n'a plus été accordée par l'administration, même si cette activité va subsister jusqu'au début des années soisante-dix dans certaines villes.
Les rescapés, à la fois par manque d'activité et donc d'entretien, vont alors être détruits ou reconvertis...
Equipement des bateaux lavoirs
Il s'agissait en réalité de gabarres * (ou chalands) de bois à fond plat sur lesquelles étaient érigé une sorte de hangar bardé compartimenté.
(*) Selon les régions, et surtout les fleuves, ces embarcations portaient un nom différent.
Il existait deux grands types de bateaux-lavoirs :
- Ceux à un seul niveau, constituant l'annexe d'une buanderie et d'un séchoir installés sur la berge, couverts ou non couverts,
- Ceux à deux niveaux servant à la fois de lieu de travail et d'habitation.
L'activité se déroulait à la fois à l'étage inférieur où se trouvaient les chaudières ainsi qu’à l'étage supérieur doté de cuves.
Ces cuves (ou cuvier) était constituées de bois neuf (pas de bois flotté ou de second usage) ; elles possédaient un trou latéral obturé au moyen d'un bouchon de paille.
Les laveuses professionnelles travaillaient le plus souvent pour les familles aisées, (généralement 5 à 8 maisons) et payaient au propriétaire du bateau-lavoir, un droit de place selon le temps d'utilisation..
Le confort des bateaux lavoirs leur assurait d’exercer leur activité à l’abri des intempéries, de bénéficier d’un cabinet d'aisance et de l’eau chaude fournie par un gros poêle.
Outre l’espace pour laver le linge, elles disposaient également d’un endroit pour le sécher (souvent à l'étage supérieur) doublé d’un étendage périphérique.
Il était également étendu sur des cordes tendues entre des piquets sur les quais ou même à même les perrès des quais.
Cela ne va pas sans poser des problèmes d'envahissement et de concurrence entre les laveuses sur les quais.
De même, cela obstrue le chemin de halage, nécessaire aux "poules d'eau" pour effectuer leur travail, mais occasionne également des querelles suite à la disparition de bois entreposés sur les berges par les marchands de bois : pour se venger, les marinniers nhésitent pas à sectionner les cordes des étandages...
Méthode de lavage
Le linge était lavé dans les cuviers (plusieurs fois s'il le fallait) à l'eau chaude, frotté au savon blanc ou bleu marbré de Marseille, puis battu à l'eau claire, pour le rinçage.
La première poudre à laver "lessive Persil" sera inventée par le marseillais Jules Rocheti en 1906.
Conditions d'amarrage
Comme tout commerçant à terre, le gérant de ce type d’établissement flottant devait s'acquitter d'une patente pour exercer.
Outre la partie professionnelle, on trouvait fréquemment à bord le logement du propriétaire ou de l’exploitant.
Dès lors que les bateaux-lavoirs n'apportaient pas d'entraves à la navigation, les services préfectoraux autorisent leur installation le long des quais, à la condition toutefois de respecter des consignes très strictes en matière d'amarrage.
Ils le sont à l'aide de solides chaînes sur des pieux.
En effet, en périodes de crues et d'embacles, il ne s'agissait pas que ces installations partent à la dérive au fil de l'eau, d'où leur protection en amont par des « estacades » constituées de pieux en bois.
Les bateaux-lavoirs de Nevers
Le premier autorisé à Nevers est ouvert par Paul Hénault en 1856 ; la concession accordée à ce charpentier-maître marinier contre redevance et sous contrôle l'inspection de la navigation faisait 30 m sur 5 m.
Ses deux niveaux (lavage au RdC et séchage au dessus) étaient recouverts de zinc.
Il cessera son activité après 1918.
Leur implantation se fait en rive droite de la Loire, en amont du pont de pierre comme le « Saint Boyer-Morel » et les « Saint-Hénault » (l'usage voulait que leur nom soit généralement celui de leur propriétaire précédé de « saint ») ; lorsque les premiers bateaux bains seront installés, ces derniers sont déplacés au niveau du pont neuf de Médine.
Plusieurs autres bateaux lavoirs s'établiront à Nevers : en aval du pont principal rive droite on en comptera jusqu'à quatre en 1902, dont le Jean Bart qui finira tristement sous forme d'épave.
Les bateaux-lavoirs de Laval
Entre 1861 et 1870 plus de 20 demandes d'autorisation sont déposées à la Division des Travaux Publics de Laval (sur la Mayenne).
Les blanchisseries de linge traditionnelles sont confrontées à la restructuration du paysage riverain, notamment par la réalisation de quais entre 1847 et 1875 le long de la Mayenne.
De ce fait, l'apparition des bateaux-lavoirs et leur histoire est liée à celle de la ville où la construction des quais est un moyen de faciliter le trafic fluvial, de limiter les inondations et de donner du travail à une population subissant dans les années 1862-1865 la crise cotonnière (La guerre de Sécession a interrompu les approvisionnements de coton américain).
Cependant, devant leur multiplication, la municipalité de Laval émet de 1866 à 1868 de vives réserves principalement au nom
d'arguments esthétiques. Après la Libération, l'installation de nouveaux bateaux-lavoirs n'a plus été accordée par l'administration mais l'activité subsistera jusqu'en 1971.
Le "SAINT-JULIEN" et le "SAINT-YVES"
Ce sont les rescapés de cette épopée à Laval.
Les embarcations les plus petites étaient peut-être construites à Laval, c'était en revanche exceptionnel pour les bateaux à deux niveaux probablement fabriqués à Angers. L'on constate en effet une certaine similitude de technique d'assemblage entre la gabarre, construite en Maine-et-Loire, et la "cale" de ces bateaux- lavoirs.
En 1959, la flotte des bateaux-lavoirs est limitée à 9 unités.
Dix ans plus tard, beaucoup d'entre eux sont désaffectés, démolis, reconvertis ou transformés en habitation.
Les années soixante forment une période de transition (les machines à laver familiales se diffusent, faisant disparaître peu à peu les laveuses) et deux bateaux-lavoirs sont convertis en blanchisserie "industrielle".
Par ailleurs, leur manque d'entretien les place au centre d'une contestation basée de nouveau sur des arguments esthétiques.
En 1965, le Conseil municipal de Laval décide de "ne pas laisser subsister les bateaux-lavoirs lorsqu'ils n'auraient plus de raison d'être en tant qu'installations destinées au lavage du linge".
Le début des années soixante-dix voit pourtant l'adoption d'un nouveau discours en matière de protection des derniers bateaux-lavoirs.
La municipalité réussit ainsi à préserver deux bateaux témoins : le "SAINT-YVES" (l'ancien" BAZILLER" de 1904) et le "SAINT-JULIEN" (anciennement "POIRIER", de 1905) classés tous deux monuments historiques le 2 décembre 1993.
Si la ré-utilisation du SAINT-YVES ne paraît pas encore définie, le SAINT-JULIEN est depuis 1985 une annexe du musée municipal, témoignant à Laval un patrimoine précieux.
Notes complémentaires
- L'invention de la machine à laver remonte au XVIIIéme siècle en Angleterre.
Il s'agit d'une sorte de baratte à linge, chauffée au gaz, qui va se répandre à partir de 1850 en remplacement des lessiveuses familiales.
- Les blanchisseries pré-industrielles vont utiliser le procédé des bateaux-lavoirs, mais à terre, jusqu'à la fin du XIXéme siècle.
- Les laveries automatiques vont être créées vers 1950.
Autres liens connexes
- Les catégories de bateaux
- Le classement des bateaux de commerce |