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POUR LA NATURE
- Chapitre V -
Place de l’homme dans la nature


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Milieu aquatique dans le Jura Le titre de ce chapitre ressemble, à s’y méprendre à celui du précédent et, avec malice, vous en déduisez que ce ne sont là que jeux de mots. Alors, je dois préciser en quoi ils sont de faux frères. Au chapitre 4, nous avons observé la place que certaines collectivités accordaient ou accordent à la nature dans leurs cultures, leurs pratiques ; nous nous en sommes réjouis ou attristés et dans les deux cas avons espéré en tirer de l’argumentation bien fondée. Ici, c’est vous et moi qui sommes en scène comme individus ou comme personnes. Chacun de nous recherche sa juste et bonne place au sein de la nature. Bien sûr, pour ce faire, nous nous inspirons consciemment ou non de ce que font nos sociétés mais n’en restons pas là.

Nous sommes de plus en plus hors nature et le souci de la place de l’homme dans la nature est de plus en plus hors-jeu pour la plus grande tristesse du vivant et de l’avenir. Renouer le lien ou veiller à ne pas le laisser s’anémier, tel est l’objectif.

Comme pour le reste de l’essai, souhaitant que l’épaisseur de notre texte soit modérée et notre recherche pas trop conséquente, nous survolons sans vergogne et nous arrêtons aux thèmes les plus souvent présentés comme étant au coeur du sujet. Les voici : émerveillement, conscience des interdépendances et du flux du vivant, sentiment de fusion, bref, tout le nécessaire pour une dilatation du moi en accord avec la nature.

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1
L’émerveillement


Pas besoin de se malaxer longtemps les neurones pour sortir de soi, il suffit de contempler. D’abord, hors même toute perspective d’harmonie avec la nature, pour la connaissance, pour s’enrichir l’esprit ; à l’instar du grand ancien de l’écologie, Thoreau dans « Walden » : « Je gagnai les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n’affronter que les actes essentiels de la vie et voir si je ne pourrais apprendre ce qu’elle avait à enseigner non pas quand je viendrais à mourir, découvrir que je n’avais pas vécu. »

Maintenant pensez « contact avec la nature » et ainsi que nous en avons disposé au premier chapitre, laissez votre imagination prendre le relais, alors des mots et des expressions accourent, évitant la phrase mais allumant des sentiments : s’émouvoir, ressentir, s’immerger, vibrer et palpiter, connivences, s’identifier à des êtres vivants, choc de la rencontre avec l’animal ou le végétal sauvage. Comme pour le romantique du 19e siècle, que la nature entre en nous et entrons en nature. Conseil ressassé mais qui n’en garde pas moins son grand intérêt : pour apprécier intensément telle journée en nature, pour s’en extasier, la supposer première de votre vie ou la dernière. Recherchons aussi le texte ou l’image qui décrit, qui explique et ainsi déclanche le contact. Approchons le vivant par le respect de la vie en nous inspirant des pensées de bouddhistes, de jaïnistes, de Schweitzer ou de Montaigne.

Laissons la plume à l’artiste naturaliste Robert Hainard qui exprime avec talent ce que nous ressentons : « La réalité est un miracle essentiellement. Une émotion unique, inanalysable, nous saisit devant le vaste paysage. C’est le mystère même, ce miracle d’être. Cet être n’est pas explicable et c’est un pauvre mystère que celui qui se dérobe. Voici des rochers des arbres des nuages. Voici la fleur, éblouissante réussite de la vie. Elle nous étonne, nous réconforte parce qu’elle crie le miracle dans sa fraîcheur vivante. » (« Le miracle d’être », Sang de la terre, 1997, p 106).

L’émotion, l’émerveillement, le contact ne viennent pas sur ordre. Il y faut parfois des ambiances favorables : vastes espaces ou reliefs marqués, sites où l’on sait que vivent leur vie une faune et une flore conséquentes. Chez nous, les espaces naturels authentiques ne sont plus, très souvent, que des confettis qu’il faut clôturer pour en allonger un peu l’existence ; les montagnes volontiers dépeintes comme de la nature pure meurent du cancer du développement qu’accélèrent, en ce moment, des réformes politico-administratives ; ainsi, par exemple, au détriment de parcs nationaux. Mettons entre parenthèses ces nuages, cette crainte que revenant le lendemain dans un paysage favori l’on n’y soit accueilli par un panneau d’ouverture de chantier ; Ronsard nous y invite, admirons les roses du vivant qui demeurent avant qu’elles ne meurent.

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2
Sentiments d’interdépendances


Ce qu’en dit la science
S’éprouver lié, relié à la nature, n’exige pas de spiritualité pour l’épauler. La science explique. Tout manuel de ce qui s’appela « les sciences naturelles » et aujourd’hui biologie, le décortique. D’abord ces cycles d’éléments vitaux aux combinaisons qui n’en finissent plus avec ces atomes qui vont d’inerte à inerte, d’inerte à vivant, de vivant à vivant et réciproquement. Ainsi le carbone, fondamental sur notre planète, il est dans les cellules, dans notre chair, dans l’air que nous respirons. Nous sommes carbone. Nous sommes aussi oxygène, azote ou en doses plus faibles manganèse ou magnésium, tout circulant en nous à un moment ou un autre. Nous, vivants sommes reliés en tant que tels, tableau des chaînes alimentaires : omnivores, carnivores ou herbivores, touts petits vivants qui recyclent. Nous sommes éléments d’ensembles complexes. Ainsi de l’écosystème. Selon une définition extraite d’un rapport 2004 de l’ONU, le dit ensemble est un complexe dynamique composé de plantes, d’animaux, de microorganismes et de la nature morte environnante. L’écosystème inclut l’inanimé comme la roche, les êtres vivants et ceux qui sont morts mais présents. En son sein, les vivants se combattent, s’unissent, se répartissent, évoluent. Son fonctionnement est tant complexe qu’il évoque parfois celui d’un super organisme vivant. Rappelons nous aussi la notion de biodiversité ou enchevêtrement de la diversité des espèces, des écosystèmes, des gênes. Avec Gaïa, un peu plus loin, nous nous hisserons au niveau de la biosphère dont nous sommes aussi un élément.

Vous admettez que tout ceci est fort intéressant, vous dites merci de l’apprendre et nous gratifiez d’un gentil au revoir mais vous ne vous sentez pas vraiment dans le coup, l’homme ne domine t-il pas la nature et ses fonctionnements même si parfois ça cloche. Vous avez tort Supposez un instant que les mini-êtres chargés du recyclage des cadavres et des déchets se mettent en grève illimitée, vous ne pouvez imaginer la pagaille que ce serait. Nous avons évoqué (chapitre 2) ce qu’en termes administratifs l’on nomme les « services rendus » par la biodiversité ou la nature ; l’on aime parler, depuis peu de temps, de « solidarité » écologique ou biologique, ça dit bien aussi ce que ça veut dire. Nous vivons au sens le plus large qui soit, de vivant, végétal ou animal. Tenez, pour enfoncer le clou toujours davantage, un exemple parmi des milliers d’autres : si des insectes dont les abeilles ne pollinisaient plus certaines plantes, nous serions quelque peu ennuyés. Marc Aurèle aimait se le rappeler (« Pensées pour moi-même ») : « Représente-toi constamment le monde [..] comment toutes choses sont causes concurrentes de toutes choses et de quelles façons toutes choses sont tissées et enroulées ensemble. »


Le tissu du vivant
Face à des constats d’interdépendances ou de solidarité, vous pouvez vous en tenir à l’œil du comptable vérifiant des bilans d’entreprises et s’en tenant strictement aux chiffres. Mais non vous ne le pourrez pas ! Comment pourrait-on ne pas prendre un peu de recul et ne pas se reconnaître intimement partie du tissu de la vie. Le chef indien Seattle s’est superbement exprimé là-dessus. Situons avant de nous engager plus avant, le contexte de ses propos pour que tout soit clair entre nous.

1854. Les nations indiennes des actuels USA ont perdu presque toutes leurs guerres contre leurs envahisseurs européens. Encore quelques affrontements, quelques soulèvements sanglants et c’en sera terminé vers 1890. Donc, en 1854, le gouvernement américain négocie avec des tribus soumises ou résignées, le sort de leurs territoires, concrètement il s’agira d’expulsions, de regroupements avec plus ou moins de compensations. Ainsi, un gouverneur accompagné d’un négociateur rencontre t-il Seattle, chef de tribus. Ce dernier s’exprime, le négociateur note. Ils seront nombreux ceux qui trouveront magnifique le contenu de la « Déclaration » de l’indien. Il y aura des écritures et des réécritures jusqu‘à ce qu’un homme de cinéma, en 1971, écrive à son tour, à son gré, la « déclaration » C’est son œuvre qui s’est imposée. Qu’importe ce méli-mélo ! Le texte final dont on peut penser qu’il s’inspire de l’esprit sinon souvent de la lettre de Seattle, est l’un des plus beaux de la littérature écologique.

En voici un très court extrait pour inciter à lire le tout.
« Les fleurs parfumées sont nos soeurs, le cerf, le cheval, le grand aigle sont nos frères ; les crêtes des montagnes, les sucs des prairies, le corps chaud du poney, et l’homme lui-même, tous appartiennent à la même famille.
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Qu’est l’homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait de grande solitude de l’esprit. Car tout ce qui arrive aux bêtes ne tarde pas à arriver à l’homme. Toutes choses sont liées. »
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Apprenez à vos enfants ce que nous apprenons à nos enfants, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. Lorsque les hommes crachent sur la terre, ils crachent sur eux-mêmes.
Nous le savons : la terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre.
Nous le savons : toutes choses sont liées comme par le sang qui unit une même famille.
Toutes choses sont liées.
Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. L’homme n’a pas tissé la toile de la vie. Il n’est qu’un fil de tissu. Tout ce qu’il fait à la toile, il le fait à lui-même.


Gaïa
L’idée d’une terre quasi vivante hante les esprits depuis toujours. Platon écrit (« Le Trimée ») que la terre ressemble à un gros animal tout rond : « Au vivant qui doit envelopper en lui-même tous les vivants, la figure qui pourrait convenir, c’était celle-ci où s’inscrivent toutes les autres figures. Aussi est-ce la figure d’une sphère […] figure qui est entre toutes la plus parfaite… » qui convenait au démiurge bâtisseur de mondes. Aujourd’hui, pour sonder les relations entre soi et la Terre, Gaïa nous prend par la main.

C.V. de J.E. Lovelock
C’est en quelque sorte l’imprésario de Gaïa. Né en 1919 en Angleterre. Sera médecin, biologiste, conseiller à l‘Agence américaine NASA notamment pour la mise au point de programmes spatiaux notamment pour la détection de vies sur Mars. Il deviendra spécialiste de l’atmosphère et d’autres disciplines scientifiques. Enfin, il proposera « l’hypothèse Gaïa » : naissance officielle aux débuts des années 1970. Une de ses collègues a été suffisamment impliquée dans la mise au point de cette hypothèse pour que l’on ne puisse se permettre de l’oublier : la microbiologiste Lynn Margulis.

Les citations qui suivent ont pour origines deux ouvrages de Lovelock :
- « La terre est un être vivant. L’hypothèse Gaïa », Champs Flammarion 1993 (HG).
- « La revanche de Gaïa » J’ai Lu. Flammarion. 2007 (RG).

Gaïa comme la Pachamama du chapitre précédent est une « Terre mère ». La seconde évoque l’enchanteresse traditionnelle, belle et féconde. Gaïa fut pour les Grecs la divinité « au large sein » ; pour Lovelock, elle est de plus une scientifique bardée de diplomes en chimie, physique, géologie ou biologie.

Démarche générale
Hier et encore aujourd’hui pour beaucoup d’entre nous, les relations êtres vivants - planète se font selon ce modèle (HG10) : « Les êtres vivants s’adaptent à l’environnement, qui lui-même évolue en fonction de phénomènes physico chimiques mais sur lesquels la vie n’a pas d’influence. » L’inerte quant à lui évolue par la tectonique des plaques, le volcanisme, l’érosion, des rayonnements solaires, cosmiques et autres phénomènes fondés dans le non vivant. Un pas de plus et nous admettons que la vie peut influer, façonner de l’inerte. Pour nous mettre dans cette ambiance, regardez les falaises normandes, elles sont de la carapace agglomérée de petites bestioles. Sous certaines latitudes amazoniennes, nous savons qu’il y a entre pluies et nuages d’une part, et forêts d’autre part, de l’interdépendance. Encore un pas et Gaïa apparaît : le vivant régule la biosphère.

Hypothèse puis théorie Gaïa
Il y eut d’abord l’hypothèse, puis, des observations diverses la confortant, celle-ci devint théorie Gaïa, Lovelock appelle parfois Gaïa tout court, aussi bien l’hypothèse, que la théorie ou même la biosphère ou la terre.

Concentré de définitions ou descriptions :
- suite à des travaux sur l’atmosphère, Lovelock explique qu’il a été amené à développer « l’hypothèse selon laquelle l’ensemble des êtres vivant sur Terre – des baleines aux virus, des chênes aux algues – pouvait être considérée comme formant une entité vivante unique, capable de manipuler l’atmosphère de la Terre de manière à satisfaire ses besoins généraux et dotés de facultés et de pouvoirs supérieurs à ceux de ses parties constituantes » (HG30). Vous avez bien noté le terme « manipuler ».
- autre manière de dire. L’hypothèse Gaïa : « postule que l’état physique et chimique de la surface de la Terre, de l’atmosphère et des océans a été et est toujours maintenu propre à la vie et confortable par la présence de la vie elle-même » (HG179).
- Lynn Margulis fait remarquer que : « Chaque espèce modifie, dans une mesure plus ou moins grande, son environnement pour optimiser son taux de reproduction. Gaïa est donc le résultat de l’addition totale de toutes ces modifications individuelles et du fait que toutes les espèces sont interdépendantes pour la production de gaz, d’aliments et de traitement des déchets, fût-ce de manière indirecte et difficilement perceptible » (HG150).
- L’hypothèse devenant solide, sûre d’elle-même, mute en théorie. De la définition de l’une à l’autre ce semble n’être que du copier coller. Exemple. Qu’est ce que la théorie Gaïa : « Conception faisant de la Terre un système autorégulé et évolutif, associant étroitement l’ensemble des êtres vivants, les roches de surface, l’océan et l’atmosphère. Selon cette théorie – fondée sur des observations et des modèles théoriques – le système a un but : maintenir les conditions de surface favorables à la vie » (RG232).

Lovelock décrit nombre de « mécanismes » régulateurs en recourrant à la cybernétique : ces systèmes d’actions et de rétroactions grâce auxquels vous jouissez d’une température constante dans votre habitation quelles que soient les évolutions du thermomètre à l’extérieur. On parle aussi de « feed-back ». Le terme « homéostasie », moins immédiatement compréhensible mais de sens voisin pointe parfois le bout de ses syllabes chez Lovelock.

Dans quels corps logent « l’esprit », la « volonté », la joie de vivre de Gaïa ? « Qu’est-ce que Gaïa ? Une fine couche sphérique de terre et d’eau entre l’intérieur incandescent de la Terre et l’atmosphère qui l’enveloppe. Qui est Gaïa ? Le tissu interactif des organismes vivants qui habitent cette couche depuis quelque quatre milliards d’années. La combinaison des deux, la façon dont l’un affecte constamment l’autre, a été fort justement appelée " Gaïa "» (RG préface 7).

Le job de Gaïa
Gaïa régule, stabilise et pour cela il lui faut aller sans cesse du four au moulin. Pour que la vie persiste des tas de processus chimico-physiques ou mécaniques, des tas d’éléments chimiques ou physiques, des tas de plein de choses doivent rester dans certaines limites, entre une maximale, une minimale en rêvant d’assurer très exactement l’optimale. En illustration et parmi les phénomènes pour lesquels il est vital que des tendances contraires s’équilibrent : celui-ci. Vous savez que le taux moyen de l’oxygène dans l’air qui nous entoure est de l’ordre de 21%. Voyez comme tout s’emboîte bien : quelques pour cent de plus et le surplus ferait s’enflammer toute la végétation terrestre, quelques pour cent de moins, l’ardeur énergétique du système serait déficiente. « Le niveau d’oxygène actuel se situe à un point où les risques et les avantages s’équilibrent heureusement » (HG92).

Ce qui au départ a épaté Lovelock, fut la constance au travers des millénaires de paramètres fondamentaux. « Le climat et les propriétés chimiques de la Terre, aujourd’hui et tout au long de son histoire, semblent avoir été toujours optimales pour la vie. » (HG31). Le contractuel de la NASA a travaillé là-dessus et sait que si la terre n’était rien de plus qu’un objet inanimé solide, sa température de surface suivrait les variations de l’émission solaire. Il répète donc : « dès le début de la vie, il y a environ 3 éons et demi (1 éon égale un milliards d’années), la température de surface moyenne de la Terre n’a jamais varié de plus de quelques degrés par rapport au niveau actuel. Elle n’a jamais été trop chaude ni trop froide pour supporter la vie sur notre planète en dépit de modifications radicales de la composition de l’atmosphère primitive et de variations dans l’émission de l’énergie du Soleil » (HG73). Idem pour la salinité des eaux qui « ne s’est guère modifiée depuis des centaines de millions sinon des milliers de millions d’années » (HG113).

Lovelock s’est donné pour tâche de repérer, préciser les corps chimiques ou les processus ou autres phénomènes qui font tourner la boutique. Un jour, il a rencontré le sulfure de diméthyle auquel ni vous ni moi n’avons jamais été présentés, mais lui, a dû fêter l’évènement au champagne. Ce composé en compagnie d’eaux océaniques, d’algues, de soufre transporté ou transformé dans un sens ou dans l’autre, de lumière, de rayonnement solaire, etc. est un acteur de premier plan dans des régulations climatiques.

Sauf à solliciter l’aide d’extraterrestres superpuissants, il n’existe pas de labos assez grands pour accueillir la planète et autoriser ainsi des expériences grandeur nature. Pas grave ! L’informatique est là qui plie l’univers à ses commandements ; Lovelock et Margulis ont mis au point un modèle joliment appelé le « monde des pâquerettes » ou « Daisyworld », ils l’ont enrichi au fil des ans, au fil des expériences. Ils disent que les régulations introduites par le vivant sont manifestes. En passant, mentionnons une conclusion à laquelle conduirait Daisyworld ; même si la Terre Gaïa n’est pas un gros fauve, même s’il n’est pas question pour elle de songer à se reproduire ainsi qu’il sied à tout être digne du statut de vivant, la théorie Gaïa n’en serait pas moins, dans son principe, cohérente avec la théorie de l’Evolution initiée par Darwin.

Les limites de Gaïa
Gaïa est très compétente. On s’est demandé si elle ne pouvait pas recycler, en déclenchant les réactions idoines, les pollutions nocives sinon mortelles que l’homme envoie allègrement dans la biosphère. Pendant un moment, il semble que Lovelock lui-même ait conclu en ce sens ; pour Gaïa, pollutions naturelles ou pollutions artificielles, ce serait tout un : de la chimie. Et à tout prendre, la terre jusqu’ici a réussi à sortir de situations difficiles. Toutefois, Lovelock nous incite à être gentil avec la déesse : il y a, dit-il, dans Gaïa, comme l’équivalent d’organes vitaux, de fonctionnements vitaux tels que : processus chimiques mais aussi espaces comme par exemple les estuaires, les forêts tropicales, et des organismes dont des … micro-organismes ! Il nous faut impérativement et scientifiquement repérer ces organes afin de les protéger. Se dire aussi que le point de vue de Gaïa n’est pas forcément le nôtre ; elle sauve le vivant , cette tendance ne signifie pas a priori qu’elle protège TOUT le vivant, ainsi, nous – espèce humaine - pouvons être, en certaines circonstances, le cadet de ses soucis.

Gaïa est immortelle en ce qu’elle peut durer autant que la planète, quelque chose comme trois ou quatre milliards d’années. Mais il n’est pas exclu qu’elle meure bien avant si nous développons des phénomènes destructeurs, irréversibles même pour elle. Lovelock craint ainsi que l’explosion démographique ne finisse par paralyser la biosphère (RG9). C’est surtout le phénomène de l’effet de serre ou des changements climatiques, qui angoisse. Crainte que tout aille dans le même sens sans jamais plus rétroagir, celui d’une irrésistible amplification du réchauffement. Lovelock a pensé, voici à peu près une décennie, que l’humanité s’engageait vers une réduction catastrophique de la population, il a depuis, modéré cet alarmisme sans jamais l’abandonner totalement. Pour aller vers le moins pire, il préconise l’extension de l’industrie nucléaire ce que les écologistes n’apprécient pas absolument.

Les déesses sont-elles de bonnes pédagogues ?
Si Lovelock avait appelé sa théorie : « théorie Lovelock » ou, plus abstraitement « théorie de la régulation de la biosphère », ses collègues scientifiques l’auraient accueillie avec moins de réticence. Mais non, il a voulu Gaïa. Pour lui, cette évocation permet de mieux comprendre (RG12), étant précisé que rien de ce qu’il a écrit ne fait de la Terre un vivant type animal (HG31). Faire des analogies entre biosphère d’une part et animal d’autre part, parler de la Terre « comme si » elle était vivante, éclairent les discussions (HG16). Enfin la valeur émotive de la métaphore nous met dans des dispositions favorables à la saisie de perspectives inhabituelles.

De méchantes langues, peut-être bien informées après tout, suspectent Lovelock d’avoir, à certains moments, flirté avec du spiritualisme type « secte Gaïa ». Il réplique n’en avoir jamais été ou si c’est arrivé, ça n’a pas duré. Tout est bien qui finit bien.

On peut rejeter l’essence de la Gaïa à la Lovelock c’est-à-dire l’existence d’une régulation bio physico chimique favorable, au bas mot, à la biosphère, au vivant. On peut ne pas chercher midi à quatorze heures et s’en tenir cette lapalissade : si nous et autres vivants, sommes vivants c’est parce que ça se trouve, par hasard, comme cela. Il reste quand même à expliquer des constances assez longues de caractéristiques propices à la vie. Tout mis en jugement, merci Sir Lovelock de nous avoir fait ressentir, émotivement et scientifiquement, la multiplicité infinie des interdépendances qui régissent, la biosphère, l’infinie complexité qui lie des éléments minuscules, ma personne ou la vôtre, à notre la Terre immense.

3
Le fleuve du vivant


Fleuve du vivant ou de la vie, l’image est admirable. Elles sont bien comme dans un fleuve toutes ces vies que les flots du temps emportent, flots dans lesquels, comme l’affirme l’antique Héraclite l’Obscur, nul ne se baigne deux fois. La vie ne se gène pas pour nous intimer souvent : « Tais-toi et rame ! » ; ramons mais en admirant le paysage.

L’histoire du vivant est souvent représentée par un arbre, l’arbre généalogique, l’arbre qui décrit la classification des espèces en nous montrant dans la mesure du possible leurs apparitions, leurs évolutions, leurs disparitions, l’arbre dans lequel nous voulons situer la branche humaine. Les biologistes, maintenant, rappellent que la bonne représentation n’est plus l’arbre qui avait surtout l’avantage de nous remplir d’orgueil et « démontrant » que de la racine au sommet, du bas vers le haut, du simple vers le complexe, du moins bien au mieux, tout menait à l’homme. C’est le buisson cylindrique qui n’a pas de direction privilégiée, ni bas ni haut qui correspond le mieux aux visions scientifiques contemporaines du vivant.

N’oublions pas même s’il nous semble étranger, le fleuve du non vivant, de l’inerte. Il a longuement précédé puis accompagné et accompagnera celui du vivant : flots énergétiques et matériels issus du Big-Bang, transformation de molécules d’inerte en molécules organiques puis jaillissement du grain de vie, la cellule.

Teilhard de Chardin comme « coacher »
Ses fresques, ses expressions chantent admirablement l’Evolution. Pour cette raison nous l’invitons en ces pages. Nous lui donnerons congé à ce moment du parcours où il entendra nous persuader qu’il sait, lui, où va le fleuve du vivant. Pour le dire en « isme », son finalisme n’est pas notre voie.

C.V.
Teilhard de Chardin, mort en 1955, jésuite, paléontologue, philosophe dit-on, auteur d’ouvrages sur le phénomène humain. De son vivant, il n’a pas plu à sa hiérarchie, le Vatican, et en a subi la censure. Ca n’a pas duré mais son œuvre ne sera largement publié qu’après sa mort, fin des années 1950. Dans certains milieux, sa notoriété, son influence persistent encore. Le cinquantenaire de sa mort – 2005 – a donné lieu à des cérémonies en particulier à l’Unesco avec message particulier du secrétaire général de l’O.N.U. du moment. Le titre d’un ouvrage paru à cette occasion qualifie Teilhard de visionnaire d’un monde nouveau.

Sources de nos citations : deux ouvrages de Teilhard :
- « Le phénomène humain » Seuil. 1955 (PHN)
- « La place de l’homme dans la Nature » Albin Michel, 1956 (PhH).

Copier – coller teilhardien
Voici l’exercice. Nous alignons, pas au hasard rassurez-vous, mais selon le déroulement de l’Evolution, quelques phrases ou fragments de phrases de Teilhard. Ainsi vérifierez-vous que sa manière de présenter les choses, est du bel ouvrage dont on pourrait s’inspirer.

« Le Monde Minéral
Monde beaucoup plus souple et mouvant que ne pouvait le soupçonner l’ancienne Science : vaguement symétrique à la métamorphose des êtres vivants, nous connaissons maintenant dans les roches les plus solides, une perpétuelle transformation des espèces minérales » (PhH67).

Avant la vie. « Dans une perspective cohérente du Monde, la Vie suppose inévitablement, et à perte de vue avant elle, de la Prévie » (PhH53).

La gigantesque épopée. « à partir de certaines protéines investies du mystérieux pouvoir d’"assimilation", la Matière s’est trouvée prise, aspirée, dans un mouvement de super-molécularisation constamment ouvert en avant » (PHN53).

Couplet de même esprit. « Plus on réfléchit à une chose si simple, plus on se sent incliné vraiment à regarder le monde vivant comme une immense gerbe de particules lancées (par le jeu de l’assimilation et de ses conjugués : association, reproduction, multiplication…) sur la pente d’une indéfinie corpuscularisation dont le terme terrestre commence peut-être déjà à se profiler en avant » (PHN44).

Vénus qui sortant des eaux ? « Juste émergeant de la Matière, n’est-il pas naturel que la Vie se présente ruisselante encore de l’état moléculaire ? » (PhH95).

Et la cellule ? « La cellule, grain naturel de Vie, comme l’atome est le grain naturel de la Matière inorganisée » (PhH80).

La biosphère juvénile. Teilhard liste des embranchements animaux et conclut ainsi son paragraphe : « ces embranchements sorte de fond de tableau ou de broussaille témoignant de l’étonnante fécondité " créatrice " et de l’incroyable pouvoir de prolifération échus à la Biosphère juvénile » (PHN63).

La vie prête, partout. « …alors nous comprenons mieux que la Vie ne puisse plus être regardée dans l’Univers comme un accident superficiel mais que nous devions l’y considérer comme en pression partout, - prête à sourdre n’importe où dans le Cosmos par la moindre fissure – et, une fois apparue, incapable de ne pas utiliser toute chance et tout moyen pour arriver à l’extrême de tout ce qu’elle peut atteindre, extérieurement de Complexité, et intérieurement de Conscience » (PHN50).

La boule de neige. « Par accumulation continuée de propriétés (quel que soit le mécanisme exact de cette hérédité) la Vie fait " boule de neige " » (PhH153).

Tout n’a pas été épuisé. Venant du monde terrestre vivant : « qu’elle qu’ait pu être la complexité de son jet originel, il (ce jet) n’épuise qu’une partie de ce qui aurait pu être » (PhH99).

Dans les lignes ci-dessus, Teilhard reste fidèle à la théorie de l’Evolution. On croise chez quelques auteurs d’autres fresques grandioses mais dont Darwin ne saurait que faire. Ainsi, pour le philosophe français Bergson : « La vie, c’est-à-dire la conscience lancée à travers la matière, fixait son attention ou sur son propre mouvement ou sur la matière qu’elle traversait. » (« L’évolution créatrice » PUF, 2009, p.183). Avec Richard Dawkins, l’évolutionniste anglais, Darwin est là tout près, mais son poème est moins excitant. Il figure d’abord dans l’ouvrage « Le gène égoïste », il le développe dans « Le fleuve de la vie » : tout vivant, à commencer par vous et moi ne fait rien d’autre que de véhiculer par son corps, à travers le temps, les gènes qui sont, qui font ce qu’il est. Les gènes, seuls vrais acteurs de la réalité, seules entités que le flot transporte ?

Au revoir M. Teilhard.

- l’histoire de l’homme
C’est humain, l’homme s’intéresse prioritairement à l’homme. Priorité aux flots qui nous portent. On peut adopter comme origine de la trace, les petits mammifères rescapés de l’extinction qui a vu disparaître les dinosaures et passe par les primates, les hominidés pour produire enfin les tweeters. Il est bon d’isoler pour l’examen, les courants particuliers qui nous portent. Le fleuve du vivant englobe tout le vivant. Les seuils ou accidents ou évènements très importants en sont la naissance de la vie évidemment, puis selon les appréciations, les sorties des milieux aquatiques, les premières respirations d’air, chacune des extinctions, etc. Pour Teilhard, en cette aventure terrestre, ce fleuve a pour seule caractéristique ou finalité fondamentale, celle de porter l’homme. A ses yeux donc, dans la vie de la terre, deux grands évènements seulement : l’apparition de la vie, l’apparition de l’homme. Celui-ci est « venu sans bruit » (PhH203). Il a fait et fait toujours parmi le vivant, figure d’isolé (PhH204). La réflexion considérée comme notre apanage n’a rien ébranlé à sa naissance, dans la nature. Il n’empêche : l’homme n’est pas seulement un centre statique mais « axe et flèche de l’Evolution » (PhH30).

A tel passage, il s’émerveille des insectes et autres petites bêtes et nous offre des phrases vibrantes. « Quel foisonnement de types rivaux, dont nous ne soupçonnions ni l’existence, ni la grandeur, ni la foule ! Etres mystérieux que nous avons pu voir, à l’occasion, sautiller parmi les feuilles sèches ou se traîner sur une plage, - sans nous demander jamais ce qu’ils signifiaient ni d’où ils venaient. Etres insignifiants par la taille et aujourd’hui peut-être par le nombre… Ces formes dédaignées nous apparaissent maintenant sous leur vrai jour. Par la richesse de ses modalités, par le Temps qu’il a fallu à la Nature pour les produire, chacune d’elle représente un Monde aussi important que le nôtre. Quantitativement (je souligne) nous ne sommes que l’une d’elles et la dernière venue » (PhH145). Il s’émerveille mais en reste là : les petites bêtes ne sont pas sur la flèche.

Du coup, ce qui le frappera dans le cours du fleuve ce sera « la tache androïde » (PHN80), « l’explosion de la conscience » (PHN91), la cérébralisation, l’hominisation ; selon ses mots : la biosphère s’enroulant par complexification autour de l’homme. Mais en biologie, il n’y a pas d’exception humaine et cette perception de la flèche humaine nous ne la suivrons pas et encore moins sa perception de l’avenir.

- le futur du fleuve Pour le non teilhardien, le fleuve de la vie, à l’issue d’un cours aléatoire, se jettera dans le néant du clash final du système solaire à moins que des évènements cosmiques ne hâtent cette fin. Cela dit, reconnaissons que même pour un phénomène aussi énorme que la vie, le proche futur résultera au moins en partie de ce qu’a produit le passé et de ce que produit le présent, donc, en proportions indéterminées, d’actes humains. Erosions de la biodiversité ou changements climatiques et le fleuve de la vie pourrait se réduire à l’état de rigole.

Teilhard est optimiste. Cérébralisation, socialisation devraient finir par créer une couche planétaire de pensée qu’il appelle « noosphère » par analogie avec biosphère et dont on peut espérer du grandiose. Autre image qui lui plait : toute une complexification converge en une concentration extrême : un point oméga conçu « comme le point de rencontre entre l’Univers parvenu à la limite de centration et un autre Centre encore plus profond » (PHN172).

Nous avons besoin de grandes visions, si celles qui surgissent de temps en temps nous séduisent tant ce n’est pas par hasard. Pour s’imprégner du fleuve de la vie, la science doit nous être racontée avec le souffle épique d’un Victor Hugo. En n’omettant pas cependant de remplacer la partie Nostradamus de Teilhard, par des débats écologiques de société.


L’amour des fleuves
On a le droit d’être allergique aux sagas. Emmanuel Mounier fut le « créateur » d’un courant de pensée contemporain de celui de Teilhard : le « personnalisme ». Celui-ci voulait substituer au culte de l’individu égoïste la reconnaissance de la personne, individu certes mais impliqué dans se société. Et bien Mounier se méfiait des envolées vers le point oméga, il craignait que celles-ci ne réduisent des évènements fâcheux d’ici et maintenant, pour l’humanité, à de simples accidents de parcours, inévitables, acceptables tant qu’elles ne changent rien à la trajectoire de la flèche.

Hainard le naturaliste s’est moqué ouvertement de Teilhard. « Pourquoi, pour comprendre et aimer la vie, devrions-nous en connaître le commencement et la fin ? Pourquoi cet accomplissement remis à l’infini ? Sa beauté n’éclate t-elle pas sous nos yeux, insoucieuse des théories demain dépassées ou fausses ? Si vraiment une force a tâtonné à travers la création, ce que je veux bien croire et si nous sommes son dernier ouvrage pourquoi s’acharner à déprécier les autres ? Pourquoi n’auraient-ils pas aussi leur valeur originale et irremplaçable ? » (« Expansion et nature » Le courrier du Livre, 1992, p115).L’avertissement est à retenir : le présent est le seul moment où aimer et agir. Cela interdit-il de se griser de la magnificence du fleuve ? L’on dilate sa vie en sachant dans quel cours elle s’inscrit. Vous comme moi sommes, dans l’univers physique, fils des étoiles. Les flots mystérieux et extraordinaires de la vie sont passés par vous et moi.

« Nous savons à présent […] que l’homme n’est qu’un compagnon voyageur des autres espèces dans l’odyssée de l’évolution. Cette découverte aurait dû nous donner depuis le temps, un sentiment de fraternité avec les autres créatures : un désir de vivre et de laisser vivre ; un émerveillement devant la grandeur et la durée de l’entreprise biotique » (A. Léopold, « Almanach d’un comté des sables », Aubier 1995, p 145).


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Fusion


Le dictionnaire en décide ainsi pour « fusion » : union intime résultant de la combinaison ou de l’interpénétration d’êtres ou de choses. Soit ! Fusions ou unions intimes en appellent à d’infinies modalités selon les circonstances. Pointons d’abord celles que nous écartons par cohérence avec notre thème et par méfiance. Nous écartons mais en évitant tout jugement de valeur, chacun croit à ce qu’il croit tant que ça ne crée pas du malheur.

Rejet donc de fusions modèle apothéose à l’entrée dans l’au-delà : paradis, nirvanas. Il y a là-dedans ce qui semble être la pensée d’un vieux philosophe et qui peut-être imprègne bon nombre de désirs de fusion : la fusion comme excuse d’avoir vécu. Nous parlons ici d’Anaximandre. Mort vers 550 avant notre ère soit 150 ans avant Socrate. Philosophe et citoyen de Milet, ancienne Ionie – aujourd’hui Turquie de l’Ouest. Il ne reste pas grand-chose de ses œuvres et encore est-ce indirectement. Il semble cependant avoir beaucoup réfléchi et écrit. On le considère comme le père ou l’oncle de la science moderne dans son principe, c’est peut-être exagéré. Aristote aurait reproduit le court fragment de lui qui nous intéresse. La traduction de Nietzsche (« La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque »), serait : « Ce dont naît ce qui existe est aussi ce vers quoi procède la corruption selon le nécessaire, car les êtres se paient les uns les autres la peine et la réparation de leur injustice suivant l’ordre du temps. » Ca signifierait : tout devenir est une émancipation coupable à l’égard de l’être éternel, une iniquité qu’il faut payer par la mort, ou encore : naître et vivre sont une faute, on expie par la mort.

Rejets des fusions dites transes comme celles religieuses de Ste Thérèse – que ses adeptes m’excusent – qui relèvent d’abord de la psychiatrie ou comme celles des rites vaudous. Pas de parenté non plus avec les extases de l’extasy et autres drogues, courte jouissance de cerveaux malmenés.

A nous maintenant. Replaçons notre refrain. Nous sommes coupés de la nature, le serons de plus en plus. Objectif : réduire, atténuer cette coupure, rétablir une harmonie, l’harmonie c’est la fusion. Voici pêle-mêle quelques attitudes cohérentes avec elle : émotion, émerveillement, identification à toute forme de vie comme l’a recommandé Lévi-Strauss, sens des interdépendances, sens du fleuve de la vie, sens du Tout.

Exemples de « fusions »

Le poète
Lord Byron, aristo anglais et romantique (mort en 1826) s’exprime ainsi dans son long poème « Le pèlerinage de Childe Harold » (Chant n°4, CLXXVII) : « Mon âme se plaît dans les forêts sauvages et s’enivre de la solitude des grèves. Je sais écouter, loin des foules importunes, ce que dit la mer profonde en ses mugissements harmonieux. Je n’aime pas moins le genre humain mais j’aime toujours plus la Nature après être ainsi resté en communion avec elle. J’échappe à mon enveloppe terrestre, à ses misères présentes, à ses douleurs passées, pour me confondre avec l’Univers. »

Le scientifique
L’un de ceux encore considérés aujourd’hui comme géniaux : Einstein. Il écrit ceci quelques lignes après celles citées au chapitre 4 précédent sur le bouddhisme : « l’être ressent alors son existence individuelle comme une sorte de prison et désire éprouver la totalité de l’Etant comme un tout parfaitement intelligible » (« Comment je vois le monde », Champs Flammarion, 1989, p 17).

Plus étonnant quand on situe le personnage : Guattari
Un psy-philosophe, mort en 1992. Fut un militant de gauche et souvent gauchiste, engagé et « enragé » selon le terme de l’époque, dans le mouvement de 1968. Il eut la cote dans certains cercles intellectuels. Il pensait ceci : « Alors lancinante, la question revient : comment modifier les mentalités, comment réinventer des pratiques sociales qui redonneraient à l’humanité – si elle l’a jamais eu – le sens des responsabilités non seulement à l’égard de sa propre survie, mais également de l’avenir de toute vie sur cette planète, celle des espèces animales et végétales comme celle des espèces incorporelles telles que la musique, les arts, le cinéma, le rapport au temps, l’amour et la compassion pour autrui, le sentiment de fusion au sein du cosmos » (C’est nous qui soulignons) (Article « la question de la question », revue « Chimères » 1997, en ligne).


Pierre Hadot
Sans doute êtes-vous parfois « tombé » sur des auteurs qui vous ont paru si essentiels que vous en avez fait vos béquilles de pensée. Pierre Hadot est cela pour nous. Il est mort en 2010. Il fut penseur et historien de la philosophie gréco-romaine antique. Peut-être ne faisons-nous rien d’autre que de l’amener à nos positions à son esprit défendant mais il nous semble succomber à cette pratique en respectant cependant les bonnes mœurs.

Ouvrage d’appui : « La philosophie comme manière de vivre ». Livre de poche, 2001 (PMV).
Précisons au départ que chez cet auteur, le sentiment de la nature s’intègre à un sentiment encore plus vaste. Pour éclairer ses positions, il évoque des auteurs dont il se sent proche :
- Romain Rolland, écrivain mort à Vézelay en 1944 et qui fut un « maître à penser », parlait de « sentiment océanique » (PMV27), impression d’être une vague dans un océan sans limites, partie d’une réalité mystérieuse et infinie.

- Michel Hulin, qu’il semble avoir particulièrement apprécié, nomme « mystique sauvage » le sentiment océanique précédent (PMV27), sentiment d’être présent, ici et maintenant, au milieu d’un monde lui-même intensément existant - intense par la multiplicité des formes de vie, ajoutons-nous – sentiment de co-appartenance essentielle entre soi et l’univers ambiant.

De Pierre Hadot lui-même
- se placer au niveau du cosmos. Dans la pensée antique, on séparait trois aspects : logique, éthique, physique (ou monde) ; la vraie physique n’était pas le contenu des bouquins de physique des collèges d’aujourd’hui mais la physique vécue. « Cette physique vécue consiste tout d’abord à voir les choses telles qu’elles sont, non pas d’un point de vue anthropomorphique et égoïste mais dans la perspective du cosmos et de la nature » (PMV155).

- contempler. « Elle (la physique vécue) consiste enfin à contempler l’univers, dans sa splendeur, en reconnaissant la beauté des choses les plus humbles. » (PMV155). Ce qui ne gâte rien : contempler est agréable. « Cicéron dit par exemple que, même si l’on peut ne pas connaître grand-chose à la nature, le fait de s’appliquer à la connaissance de la nature, c’est-à-dire de contempler la nature c’est quelque chose qui provoque un plaisir très grand » (PMV155/156).

- fusion et sentiment cosmique. Prise de conscience du monde, appartenance au monde. « Il ne s’agit pas seulement d’une contemplation purement esthétique qui a sans doute une valeur capitale mais d’un exercice destiné à nous faire dépasser encore une fois, notre point de vue partial et partiel pour nous faire voir les choses et notre existence personnelle dans une perspective cosmique et universelle, de nous replacer ainsi dans l’évènement immense de l’univers mais aussi, pourrait-on dire, dans le mystère insondable de l’existence. C’est cela que j’appelle la conscience cosmique » (PMV158).

- L’envol de l’âme. En postface à son ouvrage, Hadot présente une petite anthologie d’auteurs à « sentiment cosmique » ainsi le penseur chinois Tchouang-Tseu ou Zhuangzi. Celui-ci raconte que d’abord il ne connut de Tao que ce qu’une mouche à vinaigre prise dans une cuve peut en connaître. Mais vint un maître qui souleva le couvercle et lui permit ainsi de découvrit tout de l’univers grandiose. Vienne celui qui nous réveillera en soulevant le couvercle : maître, camarade, livre ou évènement.


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Exercices spirituels



Recherche d’harmonie avec la nature

Qu’est-ce qu’un exercice spirituel ?
Hadot reste encore un peu en notre compagnie. Il va nous aider à mettre en musique notre de besoin de conscience planétaire. S’inspirant de la philosophie antique, il distingue discours philosophique et philosophie comme manière de vivre. C’est sur cette dernière que va porter notre attention, une manière de vivre étant la pratique d’exercices spirituels. Cette pratique des anciens est parfaitement transposable, dans son esprit, aux temps actuels.

Consultons ici, de Pierre Hadot : « Exercices spirituels et philosophie antique », Albin Michel, 2002 (ES).

Si vous cliquez « Exercices spirituels », vous devrez vous débarrasser du nom de la personnalité qui lui sera accolé automatiquement : Ignace de Loyola. Comme si cet illustre jésuite du 16e siècle, avait fait breveter l’appellation. « Spirituel» évoque « religieux », c’est hors sujet pourtant Hadot garde l’adjectif, faute de mieux. « Intellectuel » ou « de pensée » ou « d’âme » ou « psychique » ou « moral » ou « éthique » ou d’autres encore ont été passés en revue et rejetés parce que ne décrivant qu’en partie la signification visée. « Spirituel » a finalement des avantages surpassant ses incovénients. Il « permet bien de faire entendre que ces exercices sont l’œuvre non seulement de la pensée, mais de tout le psychisme de l’individu et surtout il révèle les vraies dimensions de ces exercices : grâce à eux, l’individu s’élève à la vie de l’Esprit objectif, c’est-à-dire se replace dans la perspective du Tout » (ES21).

Le but des exercices se décline diversement : acquisition d’une conscience cosmique ou planétaire, approfondissements de modes de vie, de penser pouvant mener sinon à la sagesse absolue qui est hors d’atteinte du moins à une voie orientée vers ce cap. Se sensibiliser aux interdépendances des êtres vivants, aux mouvements du fleuve de la vie, s’émerveiller face à la nature sont des exercices spirituels. Une certaine vision esthétique comme moyen de voir le monde aussi (ES Préface14). Hadot présente en parcourant différents courants de pensée antique – stoïcisme et épicurisme par exemple – ce que concrètement peuvent être les exercices spirituels : lectures, méditations, recours à des formulations de base, etc. Pour nous, aujourd’hui, toute pensée, tout acte de protection de la nature sont des exercices spirituels. Discipline à respecter : « Prendre son vol chaque jour ! Au moins un moment qui peut être bref pourvu qu’il soit intense » (Citation de Friedmann, ES19).

Sans doute est-il des lieux qui favorisent la conscience cosmique. Nous en avons nommés au début de ce chapitre parlant de contact avec la nature : vastes espaces dont les limites échappent à l’œil, au sein d’une forêt touffue, en montagne. Sans doute est-il aussi des circonstances et des temps qui s’y prêtent mieux : lever ou coucher du soleil, obscurité, silence, solitude. Mais l’âme doit pouvoir s’envoler aussi à partir d’un jardin public, pas trop dénaturé toutefois à force d’être tiré à quatre épingles.

« Ecos » pour trouver sa place dans la nature
Les mots qui verdissent connaissent un baby boom. Ainsi « éco » est-il un préfixe sur utilisé. En voici deux usages en rapport avec ce chapitre, le premier léger, le second plus profond : écopsychologie et écosophie.

- écopsychologie
Le terme est neuf, la chose est ancienne. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on s’en va se promener en campagne, en nature, espérant ainsi retrouver un peu de zen et donc, de proche en proche, de santé physique. Peut-être les temps actuels sont-ils plus difficiles au maintien de la sérénité - compétitivité d’hommes loups pour l’homme. Dégradations de lieux et de conditions de vie rendent plus nécessaires que jadis le recours à la paix de la nature. Apparaît ainsi l’écopsychologie. Elle se veut scientifique, quasi discipline universitaire avec des maîtres, des théories, des exposés. Elle n’a pas tardé à émettre à son tour des « éco », par exemple : écothérapie. Rien de coupable à transformer la nature en substitut partiel aux anti-dépresseurs ou aux traitements contre les ulcères. Il convient cependant d’observer dans quelles eaux ce phénomène aime plonger. Il y a une demande de nature ? Comptez jusqu’à trois et des offres de nature sont proposées à la vente. Certaines sont gentilles, farfelues sur les bords : équivalents d’experts aux noms exotiques qui disent s’inspirer en quelque sorte de sorciers ou de chamans et qui déploient là-dessus leurs enseignes et leurs cartes de visite. Voici le hic : demande de nature d’accord mais celle-ci se réduit chaque jour en peau de chagrin. Bof ! dit le Commerce, créons de la pseudo nature tarifiée. Horreur ! L’écopsychologie, en pratique, débouche sur de la consommation de nature. Conclusion : il n’est d’authentique écopsychologie que celle intégrant, principes et actes, la préservation de la nature.

- écosophie
Ecosophie : sagesse écologique, recherche de sa juste place au sein de la nature. Retour des concepts et démarches listés dans ces pages. Ou autre manière de rassembler, exprimer les dits concepts, les dites démarches. En illustration, portons notre attention sur deux propositions.

Le Guattari des lignes plus haut a aussi publié en 1996 l’ouvrage « Les trois écologies » dans lequel il avance le terme d’écosophie. Pour lui, ces trois écologies sont les suivantes : la classique ou l’environnementale avec la nature, les écosystèmes, les risques technologiques, les pollutions, etc., la sociale par laquelle on marque que les pratiques sont inadaptées à la situation, enfin la mentale avec le souci d’échapper aux discours dominants. Guattari nous permet de placer explicitement ici – nous qui focalisons sur la nature – cette leçon : la dilatation du moi doit… retomber sur ses pattes, n’oublier, ni ne négliger social et mental.

L’écologie profonde. Vingt ans avant Guattari, Arne Naess, penseur écologiste, a utilisé – créé ? – le mot écosophie. Nous y reviendrons au prochain chapitre. En raccourci extrême cela donne : l’objectif est d’épanouir le soi en cohérence avec le Soi, la nature, le tout dont nous sommes une partie. L’écologie profonde est un pur exercice spirituel.


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