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POUR LA NATURE
- Chapitre VII -
L'animal désanimalisé


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L'animal est-il toujours à sa place ? Sommaire :
I – Situation
II – Les indignés.
III - Science et loi au service de l'animal ?
IV – Philosophie
V - Paroles de maîtres
VI – Les désagréments de la chair.


Transition
L’animal : top de la nature ?
Pour la plupart d’entre nous, l’animal est la nature par excellence. Il fascine et trouble tout à la fois tant il semble si proche que nous nous imaginons sans trop d’efforts à sa place, ressentant ce qu’il ressent, en particulier un peu de la souffrance que nous lui infligeons. Il nous fascine et trouble aussi tant ses univers paraissent à mille lieues des nôtres.
Mais avant de nous immerger davantage dans l’animalité et afin de ne pas avoir l’air de mépriser les plantes, saluons celles-ci de quelques phrases. C’est que végétal et animal ne sont pas indépendants, ils co-évoluent ensemble, s’opposant ou flirtant l’un avec l’autre. Oui, nous savons ce que nous devons au premier et convenons de « faire preuve d’audace et dire l’importance qu’il faut accorder aux herbes silencieuses, aux herbes humbles et obscures ». (Pline le Jeune). Le végétal exalte, le jardin botanique n’est-il pas quelque peu image du Paradis ? demande Cioran, tandis que le zoo, même avec le rire peureux des enfants, est image de l’enfer. Le végétal est prodigieux parce qu’il s’y développe un équivalent d’intelligence ressent le poète américain W.Withman qui ajoute : « une feuille d’herbe n’est en rien inférieure au labeur des étoiles ». Et la fleur par qui la sexualité triomphe du monde, toute petite et créatrice de vies ! Magies ! Ainsi ce gland minus qui explose en chêne géant des forêts ! (G.B.Shaw). Avec l’animal, vous savez circonscrire l’individu, avec le végétal, vous ne le savez plus : l’arbre en est un d’accord mais aussi chacune de ses branches, menant sa vie, dans certaines limites évidemment. Qu’est le temps pour la plante ? N’a-t-elle pas comme un privilège de quasi-immortalité liée à ses capacités multiples de reproduction ?
Cet hommage rendu, revenons à nos moutons.

Diversité animale
Pour « animal », le dico livre ceci : être vivant, organisation complexe, mobile, se nourrissant de substances organiques (en jargon : hétérotrophe). Des animaux ne satisfont pas tous les critères ci-dessus, la vie n’est qu’exceptions par rapport aux définitions que nos cerveaux aiment plaquer sur toutes choses. Entre animal même et végétal, l’expert hésite parfois à trancher tant les frontières sont minces. Nos sentiments en décident autant que les études des biologistes ; pour un tel, le chat est animal mais non ce minuscule semblant de ver qu’est le nématode. Dis- moi ce qui pour toi est animal et qui ne l’est pas et je te dirai qui tu es. Le mot « animal » vient du latin animus, l’âme en vient également ; est-ce à dire que la bête aurait droit à la vie éternelle ?
Laissez-moi illustrer de quelques exemples la diversité animale, dimensions, apparences, anatomies, physiologies, comportements. Voici le tatou cuirassé que vous ne verrez sans doute jamais, voici sous vos yeux des oiseaux à plumes maîtres de l’air et des poissons à écailles maîtres de l’eau. Ca marche, nage, vole, rampe. Voici la pieuvre dite intelligente car elle sait déjouer les pièges, le chimpanzé si tragiquement proche de nous par son anatomie aussi bien que par son intellect ou, plus « communs », la cochenille qui envahit nos plantations de balcons mais qui se passe de mâles, le crapaud ou la libellule aux deux vies indépendantes, une dans l’eau, une sur terre ; achevons par la méduse dont les espèces ne provoquent pas toutes des oedèmes : elle naît fixée comme une plante dont elle a l’apparence, asexuée, puis part vagabonder, sexuée. Infinités d’existences.
Pour le schweitzérien, la diversité n’est pas le problème : toute vie se révère. Dans les ouvrages, articles traitant d’animal, les auteurs, pour leurs démonstrations, tantôt ne connaissent que la généralité qui englobe toutes formes, tantôt présentent des sélections de leur cru. Le tout est de n’exagérer ni la généralité qui ferait que telle recommandation se présenterait comme universelle alors qu’elle ne concernerait que les mammifères, de n’exagérer non plus les particularités et spécificités au prétexte affiché d’être rigoureux et scientifique mais avec la volonté cachée d’empêcher toute protection animale.
Histoire de mots. Pour la science, l’homme est un animal ; dans certains exposés, la distinction homme/animal est ainsi formulée : « animal humain » et « animal non humain ». Nous en restons à l’usuel parce qu’usuel et concis.

Du sauvage à l’exploité
Parmi les multiples classifications que permet le monde animal, celle-ci :
- les animaux sauvages, libres pour autant qu’ils le peuvent car l’homme place bien des barrières et des pièges meurtriers à cette liberté et à cette sauvagerie. Dans le principe, ils agissent, se nourrissent, se reproduisent selon leurs règles héritées ou influencées par la longue évolution du vivant. Ce qui les menace n’est rien de moins que leur disparition – la crise de la biodiversité – surtout celle des gros et moyens.

- les animaux exploités, ceux, par exemple, que nous consommons. Leur vie est « adaptée » à nos profits et besoins. Le repère essentiel – pour évaluer, ressentir des situations, des souffrances - n’est plus seulement l’espèce à laquelle appartiendra tel animal exploité mais l’individu exploité. Ces animaux exploités ne disparaissent pas mais, exemple du bétail, croissent sans cesse, atteignant déjà des effectifs ahurissants.
Dans le détail, les catégories ne sont pas étanches. Quelques animaux domestiques retournent en nature ainsi les évadés d’élevage pour fourrure. Plus nombreux, des animaux sauvages sont capturés, tués en nature pour notre jouissance : chasse, cirque, etc. Un troisième groupe fermente en laboratoires : animaux clonés, manipulés génétiquement, chimères ; des populations réduites dont les financiers rêvent qu’elles conquièrent la planète.

Le présent chapitre porte sur les animaux exploités. Réaction possible de lecteurs qui attachent du prix à la cohérence des propos : quelle idée que de parler d’êtres dénaturés dans un essai titré « Pour la nature » ! Reportez- vous à l’introduction, nous y avons déclaré, observant que chacun définit la nature selon ses enzymes, que celle-ci n’est rien d’autre que la vie, que les êtres vivants. C’est ignorer les animaux dénaturés qui aurait été incohérent.



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I - Situation de l'exploitation animale

Paysage d'ensemble

L' animal est exploité à diverses fins : consommation, expérimentations, plaisirs. A bien y regarder, situation détestable partout, souffrances extrêmes partout. Nous choisissons quelques faits, quelques chiffres qui nous semblent en rendre compte, pas trop sinon on se perd. Toutefois pour qui voudra ancrer ses opinions par davantage de faits et de chiffres, clic sur la documentation en ligne sur les sites d' « One Voice » et autres associations.
Première démarche, un coup d'œil d'ensemble de la situation en listant les destins malheureux que nous infligeons aux animaux (Une référence : « Ethique animale » Jeangène Vilmer, PUF 2009).
- animaux de consommation, le bétail : élevages industriels, gavages, etc.
- animaux de recherche : expériences pour la connaissance, la santé, la beauté, etc.
- animaux conditionnés pour notre plaisir : zoos, cirques, corridas, sports (courses de chiens), etc.
- animaux sauvages que nous ennuyons chez eux : chasse, pêche, piégeage ; animaux élevés pour leur peau, leur fourrure.
- divers, allant des maltraitances sur les animaux dits de compagnie au sort d'animaux de travail.
Cette liste est indicative et non limitative. Pour peu que l'on mette du concret derrière tout cela et l'on ressent comme une guerre, une persécution incessante et immense du monde animal. Des protecteurs des animaux affirment que le comble de la souffrance, sous nos cieux, est atteint avec le bétail ; ils placent ensuite les expériences puis la chasse. Certes, chacun, selon ses sensibilités, ses expériences, ses observations dénoncera ici plutôt la corrida ou, là, plutôt le cirque.

Développons un peu une sélection de quelques thèmes.

1 - Le bétail
a – cadrage

Le numéro de Mars 2014 de la revue « Philosophie Magazine » livre un dossier animal. Celui-ci s'ouvre sur ce constat paradoxal : « les élevages industriels les plus effrayants côtoient le surgissement d'une nouvelle culture de l'empathie ». Peut-être cette empathie/sympathie va-t-elle se déployer encore, peut-être sera-t-elle assez forte pour contrer un jour notre péché.
Des chiffres. Dans le monde entier, chaque année, environ 50 milliards de bêtes (têtes de bétail) sont abattues. En France seule, pour une année : 900 millions de têtes de volaille dont 700 de poulets, 35 de lapins ; animaux plus gros : 25 millions de porcs, 4,5 millions de moutons et ovins, 3,5 millions de gros bovins ; animaux produisant d'autres matières que la viande et dont la vie n'est pas autrement belle : 4 millions de vaches laitières et 51 millions de poules pondeuses. Chiffres qui donnent le vertige, si extraordinaires qu'ils nous passent au-dessus de la tête ; c'en devient abstrait comme ces milliards de dettes publiques pour qui ne touche que le RSA.
A priori, tout un chacun peut supposer que ce qu'il achète à son supermarché ou à sa boucherie provient d'élevages traditionnels pré-supposés respectueux des vies animales. Aujourd'hui, la probabilité d'une telle chance est faible : la quasi-totalité des produits animaux est issue d'élevages intensifs, industriels, ceux qualifiés plus haut d'effroyables.
Quelques statistiques là-dessus (site : www.viande.info).Leur précision n'est pas parfaite mais l'ordre de grandeur suffit (valeurs 2010).
- 80 % des 700 millions de poulets sont élevés sans accès à l'extérieur,
- 80 % des 47 millions de poules pondeuses sont en batterie de cages.
- 99 % des 40 millions de lapins consommés sont élevés en batterie,
- 90 % des 25 millions de cochons sont élevés sur caillebotis en bâtiments.
L'élevage intensif est rendu atroce par la convergence de divers facteurs. S'il fallait en « privilégier » un ce serait l'entassement inimaginable de milliers d'êtres vivants, sensibles, dans des volumes restreints et clos. L'entassement est une conséquence directe et logique de l'agrobusiness : produire toujours plus, moins cher pour répondre à une demande élevée de consommation.

b - Trois épisodes dans cette production : élevage proprement dit, transport du lieu d'élevage à l'abattoir, mise à mort.
- l'élevage en « usine »
Sans même y pénétrer - il faut oser -, simplement en approchant des installations, en observant, chacun se doute assez vite que la vie là-dedans n'est pas rose. Puis, des lectures d'ouvrages ou des rapports dont des officiels ne laissent plus de place au doute. Parmi les divers points montrés du doigt par la morale : ceux-ci. Fonctions naturelles - manger, boire, respirer, excrémenter, bouger, se reproduire, etc. - désorganisées. Systèmes digestifs, respiratoires, musculaires, nerveux, destructurés. Impacts psychologiques : ils sont désormais reconnus comme évidents, ils sont dus au stress d'animaux coupés des relations nécessaires à un minimum de bien-être d'où des comportements individuels, familiaux, sociaux détraqués. Carences plus stress donnent agressivité et folies. Mais la viande doit rester rentable, alors, pour limiter les désordres, donc, souvent, des mutilations pratiquées sans analgésiques ou anesthésies telles que : castrations des porcelets, coupes de queues, ablations de cornes ou des becs de poulets avec cisailles, amputations d'orteils, enlèvements de dents. Sublime n'est ce pas ? Le tout dans une ambiance de cris et d'odeurs pestilentielles qui laissent loin derrière elles celles dont se plaignent des riverains inconséquents car mangeurs de porcs.
Brefs compléments.
- poules pondeuses. Des unités d'élevage enfermant près de 70.000 têtes. Des vies sur des grillages inclinés afin que les œufs roulent jusqu'aux lieux prévus pour la collecte. Des cadences extrêmes de ponte d'où des carences extrêmes : os rendus friables donc nombreuses blessures. Stress important lié à l'impossibilité de construire un nid.
- poulets de chair. Espace moyen de vie pour un poulet : la surface d'une feuille de papier au format A4. Croissance artificialisée très rapide (2 fois plus qu'il y a trente ans). Air ammoniaqué (excréments).
- truies gestantes. Vie immobile : 70 cm de large pour bouger. La truie ne se résigne pas à cette vie : elle se débat, crie pitoyablement, adopte des comportements anormaux, elle mord les barres ; dépressions au sens clinique. Ici encore comme conséquences de carences : insuffisances osseuses, ennuis cardiovasculaires.
- vaches laitières que l'on modèle et fait fonctionner comme des machines à fabriquer du lait. Anatomies monstrueuses : pis gigantesques. Fort stress dû à la séparation vache/veau.

Transport à l'abattoir
Mêmes bénédictions que ci-dessus : enfermements, entassements, conditions sanitaires déplorables, besoins fondamentaux non ou peu assurés (manger, boire, etc.). Des observateurs ne comprennent pas la brutalité apparemment gratuite qui serait infligée à des êtres sensibles ; elle serait le fait de personnes chargeant et déchargeant les animaux. Enfin, distances de transports parfois considérables dans ces conditions.

Fin du trajet : l'abattoir
Des animaux ne veulent pas entrer dans le couloir de la mort. Ils se débattent, crient. Atroce ! Pourtant l'objectif est de les y faire entrer. Admettons qu'il faille en passer par là tant que la viande sera consommée massivement. Alors, l'idéal serait une mort « douce » ; des lois pleines de détail semblent aller en ce sens mais la réalité s'en moquerait. Sur ce point, quelle tristesse que ces pratiques religieuses qui veulent l'animal conscient au moment de l'égorgement ; l'homme y défigure ses dieux. Là aussi, des observateurs notent l'indifférence apparente des manutentionnaires pour des souffrances inutiles, des coups sans nécessité ; trouver un emploi est difficile, on prend ce qui se présente mais le psychisme ne doit pas dire tous les jours merci !

Cas du gavage (Fiches Wikipédia, « Mauvaises nouvelles pour la chair », Rouannet, Albin Michel 2008).
Canards et oies en sont les victimes. D'abord de l'élevage intensif « banal » : entassement, confinement en cages étroites. Pré gavage pendant une quinzaine de jours puis gavage au sens strict. Objectif : des foies dix fois plus gros que normal. Moyen : de la nourriture ingurgitée de force par un tube enfoncé dans la gorge animale. Transposons : un homme de 70 kilos devrait avaler 12 kilos de spaghettis en 6 secondes. Les oiseaux migrateurs accumulent de la graisse avant de migrer, ils sont construits pour ça. Les oiseaux gavés ne sont pas des migrateurs et ne sont donc pas « construits pour ça ; leurs organes explosent. Le plus dur de la souffrance : le foie qui, de jour en jour, envahit tout, presse sur les organes vitaux (poumons, cœur, artères et veines). En France, les foies de près de 40 millions de canards et 2 millions d'oies finissent en boites. Un détail : qui sait que chaque année, chez nous, quelques 30 millions de canards femelles sont jetés dans des broyeurs parce « qu'inadaptés » à la production de foie gras (F. Burgat, Télérama HS « Bêtes et Hommes » 2007, p 64).
Que l'on se refuse à écouter l'argumentation morale et éthique contestant le gavage et ce pour des motifs financiers, culinaires, politiques ne surprend pas trop, le monde est ce qu'il est. Mais encenser une telle pratique – loi du 5 Janvier 2006 incluse dans le Code rural et stipulant que « le foie gras fait partie du patrimoine rural et gastronomique protégé de France » - n'est pas vraiment décent.

2 – Expérimentations animales
Le terme « vivisection » a précédé l'expression actuelle « expérimentation animale », il signifiait : sectionnement à vif de parties d'êtres vivants ; on l'utilise encore même si ce vif est désormais plus rare.
Il y a environ 40 ans, début 1976, des chats ont été volés dans une installation du CNRS en région parisienne. La présentation dans la presse de photos de ces animaux bardés d'électrodes fichées dans le cerveau, a ému l'opinion et a suscité des débats sur l'expérimentation animale. Depuis, plus rien de médiatiquement conflictuel même si des militants, dans leur solitude associative, dénoncent toujours certaines pratiques ; à noter que dans d'autres pays – USA, Grande-Bretagne – l'ambiance associative reste électrique.
Quelques chiffres (Référence 2001, Ministère chargé de la Recherche). Chaque minute, 5 animaux meurent dans des labos français et 25 chaque seconde dans le monde entier. En France plus de 2 millions d'animaux vertébrés sont objets d'expériences ; 85 % ou 90 % d'entre eux sont des rongeurs, bêtes qui n'ont pas la sympathie du public mais qui n'en sont pas moins des vivants sensibles, puis cobayes, hamsters... Pour le reste et au hasard, 100.000 oiseaux, 100.000 poissons, 8.000 porcs, 5.000 chiens et même 3.000 singes. Pas d'infos disponibles sur les invertébrés.
Nous avons tous en ce domaine la pensée qui boite. Au nom de quoi sacrifier, faire souffrir des êtres vivants pour notre santé ou notre confort ? Nous voulons triompher du cancer, du sida et de multiples malédictions alors comment éviter le scalpel qui farfouille ? Nous pouvons au moins rejoindre ces militants qui demandent des méthodes impliquant moins de souffrances, le remplacement de l'animal par du non ou moins sensible chaque fois que possible, le rejet d'expériences discutables.
Voici une intervention au service d'alchimies censées rendre belles des femmes qui le sont déjà sans cela : le test de Draize. Les yeux de lapins y grillent par milliers, ils ont le tragique avantage de ne pas avoir de larmes, les produits qui y sont déposés ne sont donc pas rejetés. Voyez la scène. Tête de lapin emprisonnée dans un carcan, yeux maintenus ouverts, une goutte de substance chimique à tester y tombe, irritations, brûlures, perforations de l'œil, douleurs intenses. Des associations ont concentré leurs efforts sur la suppression de ce test parce qu'emblématique à de nombreux égards : futile, très douloureux. En 2009, l'OCDE (« Organisme de coopération et de développement économique », sorte de club de pays riches) a validé des méthodes alternatives et l'on semble en conjecturer que le lapin est sorti d'affaire ; avec du temps, comme toujours, et à condition que ce soit bien pris en compte, Le problème est que pour un cas supposé réglé, il en reste tant qui ne le sont pas.

3 - Parmi les souffrances pour loisirs
- Cirques, zoos, combats d'animaux sans oublier les cages à oiseaux : « Un seul oiseau en cage et la liberté est en deuil » écrit Prévert. Evoquons la chasse de plaisir dont cette forme affligeante, la chasse à courre. Son impact sur les populations animales est négligeable mais les métastases de la cruauté y sont palpables. Le héros, le seul, est l'animal, le cerf superbe, il ne fait pas la guerre à l'homme, il veut vivre en paix sauf quand il séduit sa femelle en bramant. D'un côté, meutes de chiens hurlant et qui mordent, poursuite épuisante durant des heures, l'animal acculé, achevé à la dague. Ou noyé dans la vase de l'étang en veillant violemment à ce qu'il ne puisse rejoindre la rive (Source : site ROC). D'un autre côté : rites, vocabulaire jargon, ambiance aristo, de la musique en trompe, l'évêque qui bénit. La chasse à courre est ce que Talleyrand était à Napoléon premier : de la merde dans un bas de soie.

- la corrida (Une source : « La cruauté mise en scène » J.C. Nouet, site LFDA).
Voici ce qu'il en est. Avant l'arrivée dans l'arène, cornes du taureau sciées. Puis le transport à partir du lieu d'élevage jusqu'au lieu de fête, transport qui parfois fatigue et déshydrate. Avant le lâcher, on « prépare » : vaseline dans les yeux pour que l'animal voit moins bien, aiguilles dans les testicules, l'animal ne pourra plus s'asseoir. Le lâcher ! Piqûres et harpons dans la nuque et au garrot afin que le taureau ne puisse plus porter haut la tête et afin, qu'ainsi, les passes soient plus faciles. Le public s'échauffe et c'est la fête, l'animal que l'on dégrade et casse. Ligaments, tendons et muscles lésés. Banderilles tranchant les masses musculaires, les mouvements de l'animal en seront d'autant plus pénibles. Hémorragies et vaisseaux qui se contractent. Squelette atteint : vertèbres, côtes, moelle épinière aussi. Douleurs immenses. Final : l'homme plonge l'épée. Raté ! Il replonge. Comment le matador/toréador qui n'a pas eu à choisir entre la faim et le taureau ose t-il se regarder dans une glace ?

Sans doute est-il possible de traverser sa vie en ignorant la souffrance animale ou bien l'ayant découverte de la relativiser : il existe sur cette terre tant de problèmes vécus comme plus importants. Mais il peut arriver aussi que les circonstances, observations, témoignages, lectures, réveillent ce fond de morale tapi en chacun de nous qui exige que face à une situation indigne l'on se préoccupe d'avoir une conduite qui ne le soit pas.



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II - Les indigné(e)s

Une cause ardente
Sauf projets très destructeurs et immédiats, cette régression de la nature, cette disparition d'espèces vivantes qui attristent et angoissent, ne se traduisent qu'en ruminations internes ; c'est que ces régressions, en général, ne sont pas tangibles d'un coup mais effets continus de la dégradation de la situation. L'animal exploité qui souffre est là sous nos yeux, nous pouvons nous identifier à lui et l'âme chavire. Cela explique sans doute, qu'à la différence de la cause écologique, l'esprit de militants de la cause animale puisse soudain s'embraser et qu'une lave d'indignation submerge l'indifférence.

Convaincre : mission impossible ?
Nos têtes sont-elles prêtes ? Exploiter l'animal, consommer de la chair d'êtres sensibles sont dans les gènes de nos sociétés, nous sommes sous l'influence de notre histoire, de nos cultures. Les puissances du moment en tirent…leur puissance : poids socio-économique de l'agrobusiness par exemple (argent brassé, emplois assurés, impacts économiques, etc.). Prenez quelqu'un payé par une exploitation violente, il ne peut d'un coup déclarer au micro : Ah ! Ces pauvres bêtes que je tue, quelle horreur ! Non, il va vous persuader, en premier lieu se persuader lui-même s'il veut éviter l'antidépresseur, qu'il oeuvre pour le bien de l'humanité.
Un auteur (G. Chapouthier, « Les droits de l'animal », Que sais je, PUF, p 61-68) a dressé une liste type d'alibis, de blanchiments d'usages violents de l'animal, et, adaptée à une pratique répréhensible : la chasse de loisir.
- alibi historique. L'homme a toujours chassé. C'est vrai mais en premier pour s'alimenter, non pour jouir.
- alibi écologique. On chasserait pour « entretenir ». En fait, on chasse le faisan d'élevage introduit la veille de l'ouverture.
- alibi de la tradition. Il est bon de respecter celle-ci à condition qu'elle soit respectable sinon pourquoi ne pas réactiver le droit de cuissage ?
- alibi esthétique. Exemple de la chasse à courre dont nous avons souligné la vulgarité.
- alibi sportif mais le sport ne peut-il se passer d'armes à feu ?
- alibi égalitaire. La chasse pour tous serait née de la Révolution française mais est-ce bon que de répandre la turpitude de quelques uns – noblesse, clergé – à toute une population ?
- alibi éducatif. Les chasseurs ont obtenu, par le support d'un exercice violent, d'enseigner l'écologie dans des locaux scolaires mais ils ne peuvent enseigner que de « l'écologie » cynégétique et non l'écologie qui, à la base, est la connaissance des interdépendances des petites et grosses bêtes entre elles, entre les biotopes.

Voici donc les tenants ou sympathisants de la protection animale s'obstinant à réfuter les idées reçues, les préjugés, s'obstinant à mettre en évidence les souffrances animales. Ils accumulent des argumentations fournies et précises. Elles sont à la disposition de journalistes qui voudront, un jour, peut-être, informer sur l'univers de l'exploitation animale. Mais le fait est qu'elles ont bien du mal à franchir le cercle des personnes déjà sensibilisées.

Les associations
Comme pour la protection de la nature, les associations de protection de l'animal sont le sel de la terre. Elles agissent mais sont aussi sources de réflexions et de perspectives. Voici un panel d'organisations ou plutôt de principes d'organisation.

a - Protection animale et bien-être.
Comme pour tout thème, l'on est confronté à une abondance d'expressions où l'on se perd. Ainsi, les associations seraient dites de « protection animale » ; dans les paragraphes philosophiques ultérieurs, il s'agira de « libération animale » ou de « droits des animaux ».
Les associations de protection animale font du « welfare » ; comme il se doit, l'expression « bien-être » est volontiers dominée par de l'anglo-saxon Cette promotion du bien-être n'est-elle qu'un ensemble d'actions, de la compassion ? Elle est cela. Elle est, redisons-le, attitude pensée en même temps qu'efficacité ici et maintenant. On applaudit la suppression du test de Draize, l'accroissement de surfaces au sol pour chaque poulet. On ne pense pas pouvoir supprimer du jour au lendemain, par un faisceau de baguettes magiques, les exploitations intensives. Alternance des petits pas et attente, préparation au grand pas, un orage qui balaierait l'atmosphère. Les partisans du welfare sont secoués dans tous les sens ; ils se veulent pragmatiques et ils sont trop réformistes pour les révolutionnaires et révolutionnaires pour les réformistes et les gestionnaires. Ils affrontent ces questions : vouloir de « la viande heureuse » est-ce entériner l'abattoir ? Combattre la souffrance « inutile » est-ce célébrer une souffrance « utile » dont nul ne sait où placer les frontières ? Ne peut-on concilier buts quotidiens modestes et abolition de l'élevage en but ultime ? Le tout ou rien ne prend-il pas en otages les animaux vivants actuels en leur refusant l'amélioration qui les soulagerait au nom d'une hypothétique amélioration à venir ?

Parenthèse. « Bien-être » rassemble ces évidences : pas de douleur, lésion ou maladie ; pas de stress climatique ou physique ; pas de faim, soif ou malnutrition ; pas de peur ; possibilité d'exprimer des comportements sociaux propres à chaque espèce. (Fiche « Bien-être animal » Wikipédia, lue Mai 2014). Le philosophe Singer (cf. plus loin) parle, lui, de « libertés fondamentales » de base : pouvoir se tourner, faire sa toilette, se lever, se coucher, s'étirer librement ses membres

Un modèle du welfare
Peter Singer, philosophe que nous venons de citer, fait l'éloge d'un militant emblématique du « welfare : Henry Spira (1927-1998). Celui-ci fut professeur aux USA aux idées trotskistes. Sous l'influence de son chat nommé Sauvage, il milita pour la cause animale. Nombreux combats contre des pratiques installées, contre des firmes majeures. Des victoires. Sa méthode d'action parait transposable telle que à la cause écologique, elle se décline en dix points. Comprendre l'état d'esprit de la population et être réaliste / Sélectionner avec soin une cible / Fixer des buts que l'on puisse atteindre / Etre crédible, sérieux dans ses discours et écrits / Ne pas diviser le monde en saints et mécréants/ Chercher le dialogue / Etre prêt à la confrontation / Eviter la bureaucratie / Se dire que la loi, l'action légale ne résoudront rien/ Se demander : cela va-t-il marcher ?
A bien y regarder, Singer vante, non une organisation, une association mais UN homme qui a su en entraîner d'autres pour faire reculer des lignes. Il nous dit : à bon entendeur motivé, salut !

b – à chacun selon ses affinités
Les associations pour la cause animale sont nombreuses, variées, chaudes. Certaines sont généralistes, se saisissant de toutes les souffrances. D'autres sont spécialisées ou accordent une priorité à certains thèmes : élevage, zoo ou corrida. Pour un même thème, une même événement, des groupes différents se coalisent, chacun avec son angle d'attaque. Leurs actions : médias, info du public, manifs, du classique.
Des associations blanchissent sous le harnais. Ainsi l'ancêtre toujours gaillarde, la Société protectrice des animaux (SPA). Créée sous le regard bienveillant de Napoléon III. Connue pour ses refuges : « Fonder un refuge est la pire manière de s'empoisonner la vie.» déclarait Cavanna. Objectifs outre les refuges : animaleries, chasse, cirque, etc. Des actions modérées, persévérantes ainsi la pétition SPA jeunes visant à abolir la dissection d'animaux dans les cours de biologie ; rappelons que c'est par camions entiers qu'on livre des grenouilles à cette fin dans des établissements scolaires ou universitaires. (Cf. une charte mondiale des étudiants pour une biologie sans violences proclamée à Bruxelles en 1981).
Des associations internationales créent des « succursales » dans certains Etats. Un exemple : PETA France (PETA : People for the Ethical Treatment of Animal). PETA central est américaine. Ce serait la plus grosse organisation du monde oeuvrant pour le droit des animaux : environ deux millions d'adhérents. Présence en Amérique du Nord mais aussi en Europe et en Inde. Aux USA, les actions PETA sont musclées, elle serait soupçonnée d'aider des groupes pro -animaux activistes. En France, PETA est douce : infos, médias.

c – les sans-viande
Ils sont végétariens (pas de viande), végétaliens (ni viande, ni œufs, ni lait), végans (rien pas même cuir, laine, fourrure). Etre tel est choix personnel mais qui se ressemble, s'assemble : sites, revues, etc. Les motivations peuvent diverger : souffrance animale, diététique.

d – la violence
Voyons le cas d'un mouvement accusé d'actions illégales, caractère découlant de la violence de ses interventions : l'ALF (« Animal Liberation Front »). Il a été créé en Angleterre dans les années 1970, a essaimé en Amérique du Nord et se répandrait dans divers pays. Objectif élémentaire : supprimer la souffrance animale. Cinq principes pour labelliser une action ALF (Cf. Wikipédia) : libérer les animaux victimes d'abus / Infliger des dommages financiers aux exploitants / Révéler les horreurs / Ne blesser ni homme ni animal / Bien étudier les conséquences des actions. Les groupes ALF font des raids, libèrent, dégradent. Aucune atteinte physique ne serait à déplorer mais ça se discute : il existe des mouvements plus radicaux que l'ALF et l'on ne sait pas toujours quoi attribuer à qui.
Des pratiques sont des atteintes aux personnes, à leur intégrité physique ou à leur dignité : menaces de mort par exemple. Aux USA où l'on est des plus sensibles aux conséquences économiques et financières de n'importe quoi, l'ALF ne pouvait qu'être classée écoterroriste par le FBI. Les actions ALF sont difficiles à contrôler, à prévenir : pas de chefs même au niveau central mais des groupes éphémères ou non, anonymes, clandestins pouvant ne regrouper que quelques personnes décidées. En France, on compterait, dit-on quelques dizaines d'événements type ALF (FLA en français) par an. Il nous semble que les groupes qui acceptent la violence aux personnes au nom d'un idéal estimé supérieur, en fait, adoptent comme priorité la violence, l'idéal étant tout à fait accessoire. Se rappeler la recommandation du père de « l'écologie profonde », Arne Naess (chapitre précédent) : on combat les antagonismes pas les antagonistes.

e – Montrer
L'info que souhaitent diffuser les défenseurs des animaux exploités a, de fait, l'inconvénient de n'atteindre que ces derniers. Ils écrivent, décrivent toutes les horreurs de l'élevage intensif sur leurs sites mais ils sont les seuls ou presque à les lire. Endossant le rôle d'inspecteur des travaux finis, il nous semble que leurs ouvrages pourraient être fixés, forme et fond, en fonction de ce qui semble être l'était de l'opinion publique ou de secteurs de cette opinion que l'on espère atteindre ; il doit bien exister pour ce faire, parmi les adhérents des associations, des experts en communication. Ils conseilleraient sans doute d'éviter les concepts philosophiques accessibles aux seuls initiés. D'éviter les analyses fouillées de bilans comptables ou de rapports de force économiques et sociopolitiques mais des faits quotidiens de souffrance et surtout des images (littéraires) car, au fond, seule l'image parce qu'atteignant la sensibilité est performante. Des images et des films aussi. Il se pourrait que la visite d'installations intensives même maquillées, « stérilisées » suffise à dégoûter à vie de la viande d'usine. Ces visites sont légitimes : le consommateur a droit de regard sur l'origine de ses consommations, le contribuable a le droit de voir ce que l'on fait de son argent, de ses impôts, en effet, toute activité agricole surtout si c'est une « grosse » reçoit, à un moment ou à un autre, aides ou/et subventions publiques.
Bien sûr, ensuite, il ne sera jamais certain que ces informations soient reprises par les médias même si la forme des messages est plus ouverte. Le contexte actuel n'y semble pas favorable : journalistes, responsables de chaînes télévisées capitulent devant les pouvoirs économiques. Ca peut changer un jour.



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III - Science et loi au service de l'animal ?

Les protecteurs des animaux produisent de la réflexion, des théories, des systèmes intellectuels. Ils ont recours aussi aux sciences dont la biologie, aux enseignements de l'histoire et à bien d'autres éclairages encore.

1 - La science
Elle ne fait ni la morale ni l'éthique mais celles-ci ne peuvent l'ignorer. Arrêt indispensable sur la théorie de l'évolution de Darwin et continuateurs : elle fonde, explique la parenté des êtres vivants, la proximité homme/animal. Parmi toutes les disciplines scientifiques branchées sur l'animal, sélectionnons en une : l'éthologie ou étude du comportement. Elle s'appuie sur l'observation rigoureuse de la vie des animaux, elle bouleverse nos regards misérables sur les bêtes, elle remet en question l'attribution de capacités que l'on voulait strictement réservées à l'homme : conscience, intelligence, inné et acquis, etc. C'est flagrant pour les primates : beaucoup d'entre eux pourraient bénéficier d'une carte d'identité tant leur individualité ou personnalité parait établie. (Cf. livres de F. de Wals).
Enfin, la science fournit des matériaux propres à faire voler en éclats des préjugés tels que : l'animal ne souffre pas, l'animal n'a pas de sens social. Mais il est vrai qu'il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre.

2 - Au nom de la loi
La loi semble incontournable pour qui veut protéger l'animal ; elle l'est pour tout ce qui touche la société humaine ; que deux hommes veuillent vivre à proximité, il leur faudra des règles implicites ou explicites pour une coexistence pacifique.
Personne n'aurait cru en 2000 que la loi Badinter d'abolition de la peine de mort serait adoptée l'année suivante. Encore aujourd'hui, on ne peut exclure qu'un référendum rétablirait la peine capitale. Cet exemple, montre-t-il que la loi toute seule peut être à l'avant-garde de l'humanisation des sociétés ? Pas évident. La règle générale pourrait bien être qu'une loi ne passe que lorsque les mentalités sont prêtes à l'accepter ou à s'y résigner. Prenant les choses à l'envers, constatons qu'un regard sur la situation législative n'est pas inutile car celle-ci informe sur les rapports de force en présence, à un moment donné.
Le mot clé est à nouveau complexité : en premier, diversité des espèces qui ne peuvent relever toutes des mêmes prescriptions, diversité des enjeux qui commandent l'instauration de lois, enjeux éthiques et plus puissants encore, enjeux politiques, sociaux, économiques, etc. Difficultés aussi qui pourront paraître secondaires mais qui, dans la pratique s'avèrent ne pas l'être, pour disposer de systèmes juridiques cohérents, pas trop confus ; on ne transvase pas comme en se jouant, un objectif dans un Code ou une Constitution.
Rappel : c'est de l'animal domestique dont il va s'agir maintenant et non, ou secondairement, de l'animal sauvage. Maintenant, promenons-nous dans l'espace et le temps juridiques.

- Hier
Sous la Révolution (décret de 1791) et sous le Premier Empire (Code Pénal 1810), les mauvais traitements infligés aux animaux sont punis ainsi que l'on punit les dégradations de matériels d'autrui.
Sous le Second Empire (1850), promulgation de la loi Gramont du nom de l'officier de cavalerie qui l'a défendue. Ca ne s'est pas fait tout seul et l'officier en a entendu des vertes et des pas mures. Elle punissait d'amendes et d'un peu de prison les personnes exerçant publiquement et abusivement de mauvais traitements sur les animaux domestiques. On sourit aujourd'hui de cette loi en ce qu'elle ne s'intéressait à l'animal que dans la mesure où des violences à son encontre étaient un très mauvais exemple pour les relations entre hommes. Il nous semble que c'était un premier pas ; Gramont est allé aussi loin que son époque le permettait. Mieux, parler de mauvais exemple est acter que les brutalités sur les bêtes sont de mauvaises choses en soi.
La situation est restée figée pendant un siècle. Quelques améliorations ont vu le jour en 1959 (décret) puis 1967 (loi). Loi sur la protection de la nature de 1976 dite loi d'Ornano du nom du ministre de Giscard d'Estaing qui l'a portée : une très bonne loi pour la protection de la nature, faune et flore sauvages, espaces d'intérêt écologique ; on n'a toujours pas fait mieux venant de France. A s'en tenir aux mots, certains de ses articles sont également bénéfiques pour l'individu-animal ; ainsi l'article 9 stipule que « Tout animal doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de l'espèce. » Hors mots sur la sensibilité animale, force est de constater cet article et d'autres n'ont été que des tigres de papier, élevage intensif par exemple.
- Passé plus récent, les directives de l'Union Européenne. A partir du Traité d'Amsterdam (1997), l'Europe s'engage dans l'humanisation de nos pratiques pour l'animal. A vrai dire, sa position est ambiguë. D'un côté, sa philosophie est le libéralisme donc pas de miracles écologiques ou animaliers éthiques à espérer ; c'est de ce côté qu'elle finance une politique agricole commune (PAC) profitant essentiellement à l'agriculture intensive (cultures, élevages) avec un « verdissement » toujours annoncé, toujours enterré. D'un autre côté, l'Europe élabore des directives contraignantes de protection de la nature et, vis-à-vis du présent thème, de prise en compte du « bien-être » animal. On se demande parfois si, au total, l'Europe ne finance pas de vastes incendies avec toutefois l'octroi de quelques seaux d'eau ici ou là mais bon ! Atténuer les souffrances animales c'est toujours ça.

- Aujourd'hui
Le Droit reflète le paradoxe évoqué plus haut : coexistence de sentiments pro-animaux et présence d'installations terribles. Si une situation était d'autant plus satisfaisante que l'épaisseur des textes juridiques la concernant était épaisse, ce serait le paradis. Tout, si ce n'est plus que tout, en gros ou en détail, fait l'objet de règles juridiques aux habillages multiples : directives européennes transposées dans le droit français, lois, décrets, arrêtés, circulaires, etc. Essayez auprès d'une association de protection animale : sélectionnez un thème, chasse ou zoos ou élevage intensif, et faites-vous livrer les références juridiques, jurisprudence en particulier, la concernant, vous n'en croirez pas vos yeux et votre sacoche sera trop petite pour tout y loger. Si la direction générale de ce flux menait absolument vers un meilleur univers, on en excuserait la lenteur et la confusion. Hélas, parfois, il s'observe même des régressions : lois chasse ou gavage par exemple.
Abondance de biens ne nuit pas dit le proverbe. « ….à mesure que s'étendent les textes protecteurs, le sort quotidien de l'animal se dégrade ». répond S. Suzanne, juriste expert.
Autre aspect : l'application des loi qui n'est pas toujours correcte. Souvent, une loi peut être imparfaite mais on se dit appliquons-la quand même, c'est mieux que rien, c'est mieux que si c‘était…pire. Mais on ne l'applique pas ou mal. Des recours d'associations devant des Tribunaux conduisent à « casser » des arrêtés préfectoraux (exemples : « destructions de « nuisibles », périodes de chasse d'oiseaux migrateurs, etc.) preuve que ces derniers ne respectaient pas la loi, étaient illégaux.

Perspectives
Des défenseurs des droits des animaux placent la barre très haut. Ils demandent l'octroi de « droits » à l'animal (certains animaux) même si ces droits ne peuvent être accompagnés de « devoirs ». Après tout, il en va bien ainsi avec les handicapés profonds. L'animal, pour eux devrait avoir une personnalité juridique comme vous et moi. Encore plus révolutionnaires, d'autres penseurs estiment que le problème n'est pas de légiférer sur l'élevage intensif ou la chasse mais d'abolir ces usages.
Les juristes qui se prononcent effectivement sur la question animale, davantage pragmatiques recherchent des principes à partir desquels l'on puisse enclencher des améliorations notables. Il s'agirait tout particulièrement de définir un statut juridique de l'animal. Il est intéressant de consulter, à cet égard, le « Rapport sur le régime juridique de l'animal » (2005, en ligne) rédigé par Madame S. Antoine nommée plus haut, à la demande du Ministère de la Justice d'alors. Cette juriste explique que notre code civil (en 2005) se fonde, de fait, sur la vision animal-machine de Descartes. L'animal domestique est un bien, est une chose et c'est de cela qu'il faut sortir. L'objectif est donc un statut de l'animal conforme aux caractéristiques d'être vivant et sensible de celui-ci et donc pouvant souffrir.

Ca bouge ?
- Fin 2013, la revue « Trente millions d'amis » lance une pétition. Celle-ci propose d'instaurer dans le droit français, en faveur de l'animal, une nouvelle catégorie se situant entre celle de la personne et celle de la chose, et conduisant à reconnaître sa nature « d'être sensible capable de ressentir en particulier plaisir et souffrance ». Des milliers de signatures. Evénement médiatique car des personnalités, des intellectuels en vogue en sont : Hubert Reeves, Michel Onfray, Luc Ferry et d'autres. Signe de temps nouveaux ?
Remarques anecdotiques sur deux locataires de l'Elysée. Le président Chirac aurait sans doute signé tout de suite ; ne déclarait-il pas, en 2002, vouloir engager une réflexion des institutions afin que « le droit des animaux soient réellement préservés » ? Hollande, lui, ne veut pas signer : l'animal, en France, vit dans le meilleur des mondes possibles. C'est ce qu'il confie à une revue d'agriculteurs. (« France Agricole » Avril 2014).

- Avril 2014 (suite). Un amendement est glissé dans une loi en discussion que le Parlement adoptera. Il accorde à l'animal « la qualité d'être vivant doué de sensibilité » mais restant toujours un « bien » (« bien vivant »). Il provoque des sentiments mitigés dans les associations. « Révolution de pacotille » pour la revue « Charlie Hebdo ». Un objectif affirmé des promoteurs de la loi a été la « cohérence » littéraire entre le Code Civil et d'autres Codes, Code rural en particulier pour qui l'animal est déjà sensible ; mais comme chacun ne sait pas, c'est le Code Civil qui domine. Des officiels précisent aussi qu'il ne faut en attendre aucune remise en cause des catégories juridiques existantes. Elevage intensif ou chasse n'ont pas de quoi s'inquiéter. Peut-être peut-on se dire qu'une petite fente vient de s'ouvrir dans le mur juridique de la souffrance animale.

Pendant ce temps, quel statut pour l'animal sauvage ?
Sa vie est réglée par le Code de l'Environnement. Celui-ci protége les espèces et donc les individus la constituant…..qui sont protégées c'est-à-dire qui figurent sur des listes officielles. Les non protégés n'ont pas de bouclier (chasse, piégeage, pêche, etc.). Il semblerait même, juridiquement parlant, qu'il n'y aurait rien à reprocher à qui casserait la patte d'un lapin pour le plaisir !

Dans toutes ces convulsions juridiques – cause animale, écologique ou sociale d'ailleurs - le citoyen ordinaire peut-il jouer un rôle ? Lors d'évènements clés comme des propositions de loi, le juriste amateur ou professionnel a la capacité d'influer, les autres signeront les pétitions. Il reste aussi à ces derniers la tâche éternelle et ingrate mais nécessaire de guetteur – selon le terme valorisé par Greenpeace – le souci de traquer le non respect de la loi.



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IV – Philosophons

Préalables
Humons ce que des penseurs impliqués dans la cause animale apprennent, retiennent, mettent en forme et en systèmes ce qui leur parait s'agiter aujourd'hui dans les mentalités. Au départ, la philosophie animale qui disserte en tous sens sur « l'animalité », sur ce qui est « l'être » de l'animal. Comment situer celui-ci sur une supposée échelle hiérarchique Dieu, ange, homme, animal, végétal, inerte ? Y a-t-il coupures ou gradations ? En quoi sommes-nous ou ne sommes nous pas autres que l'animal ? Conscience, intelligence, mémoire sont-elles réservées ou partagées davantage que nous le pensons ? L'animal dort-il alors que l'homme veille ? Qu'est le monde de l'animal, que sont la vie et la mort pour lui ? Questions infinies, exposés et articles sans nombre qui, à bien des égards, ne font que touiller les mêmes idées depuis des siècles avec, à la rigueur, des cuillères différentes, ça n'enlève rien à l'intérêt de leur lecture car il est des dossiers qui réveillent.

« L'éthique animale » ou philosophie morale, éthique est comme une partie de la philosophie générale ci-dessus. Comme pour l'éthique environnementale du chapitre 6 précédent, elle aide à se fixer une opinion sur ce qu'il est bon de faire ou mal de faire à l'animal si l'on entend respecter sa dignité. Les penseurs en éthique animale sont une espèce en voie d'expansion en pays anglo-saxons. Jetons notre dévolu sur deux d'entre eux : Peter SINGER et Tom REGAN. Pourquoi ces deux-là ? Parce qu'ils semblent reconnus comme les plus illustres dans le domaine que nous étudions. Il se trouve que leurs pensées, dans certaines limites bien sûr, s'opposent. A nouveau une alternative qui aide à comprendre les problèmes. Je n'insiste pas trop sur cette considération, je finirais par ressembler à ce quidam remerciant le Créateur de faire pousser des pommiers précisément dans les lieux où l'on fabrique du cidre.

1 - Peter SINGER
Son CV
Professeur de philosophie australien, né en 1946. Ne craint pas les débats houleux (USA, Allemagne) sur des sujets sensibles : euthanasie, avortement, etc.

Son livre choc
Singer a acquis une réputation internationale de penseur de l'éthique animale avec son ouvrage « La Libération animale » paru en 1975 et traduit en 1993 (Ed.Grasset). (« LA » ci-après). La préface ouvre nettement le bal : « ce livre porte sur la tyrannie que les êtres humains exercent sur les autres animaux. Il y a une raison sérieuse au titre de ce livre. Un mouvement de libération est l'exigence que soit mis fin à un préjugé et à une discrimination basée sur une caractéristique arbitraire telle que la race ou le sexe ».Le texte est facile à lire. L'auteur s'y révèle non seulement philosophe mais aussi observateur précis ainsi qu'on le découvre dans deux chapitres, un quart du total des pages. Dans l'un d'eux, il traite des expérience en labos. Certaines d'entre elles sont démoniaques, celles, par exemple, ou des chercheurs veulent prouver qu'un bébé singe privé de sa mère est perturbé. Un deuxième chapitre sur la ferme usine. Singer y détaille, y révèle les traitements brutaux subis par poulets et poules, porcs, veaux, vaches laitières. Il explique en passant la violence à laquelle conduit l'objectif d'une viande de veau ayant la couleur qui plairait à la clientèle.
Pénétrons maintenant dans la pensée de SINGER en notant que différents courants existent au sein de la cause animale et que les noms que l'on donne à ces derniers viennent des doctrines des maîtres. Ainsi le mouvement dit de « Libération animale » correspond-il à ce que SINGER défend.

Très grandes lignes de la position de Singer
- Avoir de la considération pour l'animal
En théorie, dans les mots, dans la loi, nous accordons une égalité de considération pour tous les hommes quels qu'ils soient, vieux ou jeunes, noirs ou blancs, maigres ou gros. Qu'il y ait des différences entre les hommes ne gène en rien cette égalité. Singer étend le principe d'égalité aux animaux. Mais hommes et animaux diffèrent ! Et alors ? « La reconnaissance de ce fait évident n'est cependant pas un obstacle à l'argumentation pour l'extension du principe fondamental d'égalité aux animaux non humains » (LA30).

- le spécisme
Pour certains problèmes de la vie, les choses peuvent être tout à fait comparables que l'on soit homme ou animal (sensations, conséquences, etc.). La grande majorité d'entre nous, dans ces cas, prendra inévitablement en considération les intérêts de l'homme mais estimera non valables leurs équivalents chez l'animal, rejettera les intérêts de l'animal. C'est injuste dit Singer, nous sommes des « spécistes » Singer définit ainsi le spécisme : « un préjugé ou une attitude de parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce à l'encontre des intérêts des membres des autres espèces. ». (LA36). Ce terme se comprend par analogie. Avec le racisme par exemple. Celui-ci établit une hiérarchie entre les races ou ce que certains désignent ainsi, le raciste place sa race au-dessus des autres, de toutes les autres, il s'octroie des droits pour mépriser, parfois exploiter jusqu'à la mort ces autres. Le spécisme quant à lui, met toutes les espèces animales dont celles d'êtres sensibles sous le joug de l'espèce humaine.
Donc, vouloir étendre l'égalité de considération aux animaux implique d'être anti-spéciste.

- Une égalité de considération qui secoue les préjugés
Le cœur de la pensée de Singer est dans cette égalité de considération de prise en compte des intérêts. Il en résulte des conclusions qui fouettent. A bien des points de vue, animaux non humains et attardés mentaux humains, par exemple, relèvent, même si nous refusons de l'admettre, d'une même catégorie. Ils en relèvent dès lors que l'on compare entre eux des intérêts objectifs. En conséquence, ce que l'on ne fait pas à l'homme aux capacités réduites sous prétexte qu'il est un homme, on ne doit pas le faire aux animaux ayant des capacités de même niveau et parfois même supérieures. Ou, à l'inverse, ce que l'on fait sur certains animaux aux capacités supérieures, on doit pouvoir le faire sur des hommes aux capacités diminuées.
Singer, comme on dit, désacralise l'homme. Pour lui, l'humanisme n'est qu'un égoïsme de l'espèce humaine.
Toutefois, attention ! Egalité de considération n'est pas égalité ou identité de traitement. « Une considération égale pour des êtres différents peut mener à un traitement et à des droits différents» (LA31).

- La souffrance
C'est bien clair dans votre esprit ? L'égalité de considération ici discutée est celle des intérêts qu'à l'être vivant – animal ou homme – à vivre. Parmi tous les intérêts, ne pas souffrir est primordial pour tout être qui a la capacité de souffrir. Singer en appelle à un philosophe anglais, Bentham, écrivant à propos des animaux. « La question n'est pas : peuvent-ils raisonner ? ni : peuvent-ils parler ? mais : peuvent-ils souffrir ? » (LA37). Dit autrement : votre souci est d'éviter la souffrance des êtres susceptibles de souffrir ? Alors, vous n'avez pas à tenir compte de l'espèce - animale ou humaine - qui souffre mais de qui souffre. On doit accorder à chacun ce qu'exigent ses intérêts. Logique et équitable pour Singer, que ce principe d'égalitarisme des espèces.

- l'Utilitariste
Même si parfois Singer prend quelques distances avec l'utilitarisme, cette pensée demeure sa référence. Esquissons-en une silhouette. Deux anglais en sont les lumières, le Jeremy Bentham d'à l'instant (mort en 1832) et John Stuart Mill (mort en 1873). Maxime générale : un maxi bonheur pour un maximum de personnes. Ca peut équivaloir à un minimum de peines et chagrins pour un maximum de personnes. Bonheur signifie : plaisir, satisfaction, intérêts, préférences, etc. Pour une situation donnée, il semble bien que le bon utilitariste doive disposer d'un CAP de comptable. Pour évaluer une action, une règle de conduite, on met sur un plateau le crédit, tout ce qui amènera du bonheur, puis sur l'autre, le débit qui amènera du malheur et on regarde de quel côté penche la balance. Les calculs ne sont pas toujours immédiats, des entités sont chiffrables, cernables et d'autres non. On ne sait pas toujours non plus ce qui est bien et ce qui est mal. A relever, ce sont les conséquences des actes qui importent et non, comme avec Kant, référence de la philosophie occidentale, les principes de rigueur a priori, qui sont derrière l'action de qui décide.
Parmi tous les utilitarismes, Singer retient celui des préférences. « Je suis un utilitariste mais un utilitariste des préférences plutôt qu'un utilitarisme hédoniste. Donc, si je devais reprendre la définition de Mill, je la modifierais en disant qu'une action est bonne quand elle maximise la satisfaction des préférences et mauvaise quand elle empêche ou frustre la satisfaction des préférences. » (P. Singer « Pertinence de Mill » sur www.cahiers-antispecistes.org, CA28).
Si des intérêts en balance sont au même niveau pour certaines espèces, ça ne conduit pas à octroyer à celles-ci la même valeur de vie. Par exemple, l'homme fait des projets, met de l'avenir dans son présent ; la souris ne le fait sans doute pas. Cette différence devra apparaître dans le bilan utilitariste. Dans « Philosophie animale » (Textes réunis par Afeissa et Jeangène Vilmer, Vrin 2010 p130), on lit ce commentaire : « Si l'on songe en outre que conformément aux principes utilitaristes que se donne Singer, le sacrifice d'une vie est justifiée si l'on peut prouver qu'il permet de sauver d'autres vies, il est facile d'en conclure que, à ses yeux, l'exploitation animale, sous ses diverses formes, est légitime dans la stricte mesure où elle permet de prolonger la vie de ceux qui sont capables d'avoir des désirs pour l'avenir. »

- Etre végétarien.
Aujourd'hui, l'élevage industriel et donc la consommation de viande sont la cause de souffrances animales telles qu'elles en deviennent prioritaires dans l'ensemble des luttes pour la dignité animale. Singer écrit ainsi que protester contre les corridas tout en continuant à consommer des œufs « intensifs » a le même intérêt que dénoncer l'apartheid d'Afrique du Sud tout en demandant à son voisin de ne pas vendre sa maison à des Noirs (LA252 ; pour comprendre la comparaison, se rappeler que Singer dit cela en 1975). Aujourd'hui, le végétarisme est la seule réponse pour combattre la souffrance étant donnée la manière dont le bétail est élevé. Pour Singer, cela n'est pas une position de principe mais un boycott de circonstance. Avec un élevage correct et une mise à mort indolore, pourquoi pas la viande ? Singer ne prêche pas l'abolition de l'élevage pas plus qu'il ne s'oppose à l'expérimentation animale sous certaines conditions. Ce révolutionnaire est un modéré pour certains partisans de la cause animale. Souvent, avec certains de ces derniers, tout se passe comme si l'on n'avait d'autre alternative qu'être saints (végétariens) ou assassins (carnivores).

2 – Tom REGAN
- Son CV
Professeur de philosophie dans une Université américaine. Né en 1938. L'apprenti boucher qu'il fut à son adolescence (« Interview, cahiers antispécistes n°2), est devenu une figure de proue de la cause animale.
Son œuvre majeure parue en 1983, a été récemment traduite sous le titre « Les droits des animaux » (Ed Herman, 2013). Ses 750 pages sont éprouvantes pour qui la philosophie morale animal n'est pas la tasse de thé. Par bonheur, nous disposons d'une traduction d'un texte plus accessible dont nous userons : « Pour les droits des animaux » inclus dans l'anthologie citée quelques phrases plus haut, nous le désignerons ci-après par « PhA ».
Regan semble ne connaître que la raison, la logique irréprochable. Ne ressent-il donc rien au spectacle de la souffrance animale ? N'est-il pas trop cérébral ? Mais non ! Il éprouve comme tout homme sensible, de la passion, de la colère, de la rage. « La création tout entière gémit sous le poids du mal que nous, êtres humains, imposons à ces créatures muettes et sans défense. » (PhA183). Cela dit, il pense que ce n'est que par la partie gauche de son cerveau que l'on peut influer dans les débats.
Comme Singer, avec « La libération animale » et le mouvement qui porte ce nom, Regan a créé ou regroupé le courant dit « Droits des animaux ». Il se décrit comme activiste, militant culturel, tentant d'être un porte-parole des animaux et de l'être avec humilité et sans dédain. (Interview « cahiers antispécistes » ci-dessus).

- Sa pensée à grandes enjambées
Sa thèse d'ensemble
telle qu'il la défend dans son œuvre capitale « Les droits des animaux » est ainsi résumée par une commentatrice. « Les animaux, en tant que " sujets d'une vie " et " patients moraux " ont des droits et les êtres humains ont des devoirs envers eux. » (F. Armengaud « Nous ne sommes pas les rois des animaux », site « La vie des idées » 2013).

Un abolitionniste
« Notre but n'est pas d'élargir les cases mais de faire qu'elles soient vides. » Les réformistes lui objectent : « le pays ne deviendra pas végétarien demain matin, donc il faut travailler avec les poules en batterie ». Il répond « Quand vous réformez l'injustice, mon opinion est que vous la prolongez. » (« Interview » citée plus haut).
Parmi les buts de son mouvement, ceux-ci (PhA161) :
- abolition totale de l'utilisation des animaux dans les sciences
- élimination totale de l'élevage à des fins commerciales
- interdiction totale de la chasse pour le sport et le commerce ainsi que l'interdiction du piégeage.
Les droits des animaux au nom desquels ces interdictions sont requises sont des droits moraux.

Notions de base pour Regan : « sujets d'une vie » et « valeur inhérente ».
a - « sujets d'une vie »
Qu'en est-il pour l'homme ? « …chacun de nous est le sujet d'une vie dont nous faisons l'expérience, une créature consciente possédant un bien-être individuel qui nous importe indépendamment de notre utilité pour autrui. Nous désirons et préférons des choses, nous croyons et ressentons des choses, nous nous rappelons des choses et nous nous attendons à d'autres.» (PhA177). Pour l'homme, cela nous parait correct mais quid pour l'animal ? « Nous savons pertinemment qu'un très grand nombre – littéralement des milliards et des milliards – d'animaux sont les sujets d'une vie dans le sens donné plus haut et que donc ils possèdent une valeur inhérente si nous-mêmes en possédons une. » (PhA179).
Regan laisse à d'autres le soin de placer une frontière entre les animaux qui sont vraiment sujets d'une vie et ceux qui ne le sont pas. Singer, lui, laissait aussi aux experts le soin de placer une frontière entre les animaux ayant la capacité de souffrir et ceux qui ne l'auraient pas (insectes et autres invertébrés ?). Regan soucieux de ne pas trop donner prise aux critiques techniques, s'en tient, comme indiscutables sujets d'une vie, aujourd'hui, aux mammifères de plus d'un an.

b – « valeur inhérente »
Les sujets d'une vie jouissent donc d'une « valeur inhérente ». Sauf si vous lisez cet essai en regardant la télé en même temps, cette dernière devrait vous remémorer la valeur en soi, la valeur intrinsèque, rencontrées au cours du chapitre précédent. Nous devons traiter les individus qui ont une valeur inhérente d'une manière qui respecte cette valeur inhérente, dit Regan.
Les sujets d'une vie ont des droits : droit de vivre, de ne pas subir des violences de notre part, etc. Nous, humains, avons le devoir de respecter ces droits. Ceux-ci sont directs ainsi que nous en avons entre nous, hommes,, et non pas indirects tels ceux, par exemple, issus d'une croyance en un dieu interdisant de maltraiter l'animal.

Vrac
- Changer : « Les gens doivent changer de convictions avant qu'ils ne changent leurs habitudes. » (PhA163). Il faut, pour cela, œuvrer dans l'éducation, la publicité, les organisations politiques.
- Contre toute répression. « L'engagement du mouvement doit être : faire cesser la répression partout, quelle qu'elle soit. » Femmes, noirs ou indiens sont les alliés potentiels de Regan. (« Interview »citée plus haut).
- Sans violences. Regan condamne les violences de mouvements activistes de défense animale comme l'ALF. Il les condamne dans leur principe mais aussi parce qu'elles font du mal à la cause animale, donnant prétexte à accuser tous ses militants et penseurs de terroristes. Regan ajoute toutefois que même si l'ALF cessait ses actions, la propagande anti animale - qui a le pouvoir -, persisterait dans ses calomnies.
- Que faire ? Etre végétarien a répondu Singer, cela seul peut supprimer la souffrance animale. Etre végétarien répond Regan, non seulement pour diminuer la souffrance mais pour ne pas tuer, pour respecter les valeurs inhérentes des bêtes que nous mettons dans nos assiettes. (« Regan, « Le fondement moral du végétarisme » sur site de la revue Klésis, dossier humanité et animalité, 2010). En consommant, nous contribuons à créer une demande de viande que les éleveurs intensifs s'efforcent de satisfaire : le plus de viande possible dans le plus court laps de temps possible, au moindre coût. Ce n'est pas au végétarien de justifier sa conduite mais au non végétarien de montrer comment manger de la viande se justifie lorsque l'on sait que cela exige de tuer.

Dans l'état actuel des choses, passer de cette éthique à une politique concrète exigera beaucoup de vertu.

3 – REGAN / SINGER : pour qui voter ?
Quelques différences entre les programmes sachant que l'objectif général – réduire la souffrance animale – est commun aux deux hommes.

Les raisons d'agir
- Singer veut maximiser le bien-être animal, son critère est la souffrance.
- Regan met en priorité la vie de l'individu animal, il veut abolir toute exploitation violente de celui-ci

L'utilitarisme
- Son intérêt pour Singer. « Le point de désaccord avec Regan consiste en ceci que les utilitaristes préfèrent maximiser les bénéfices des individus plutôt que de les restreindre au nom du commandement selon lequel il faudrait s'abstenir de commettre le moindre mal à l'endroit de quelque individu que ce soit. » (Singer dans PhA154).
- Son danger pour Regan. Afin de nous convaincre, il nous présente la tante Béa. (PhA174). Celle-ci est vieille et riche mais en bonne santé. Elle refuse de donner le moindre dollar à son neveu Tom. Pourtant, si celui-ci recevait une bonne somme d'argent, il en ferait un très bon usage : un hôpital pour enfants malades de son coin. Tom se lance dans un calcul utilitariste. Il tue sa tante et en hérite. D'un côté, ce n'est pas glorieux même s'agissant d'une vieille. De l'autre, ça l'est : du bon et du bien pour des enfants et de la fierté pour lui. L'utilitarisme tranche : Tom empoisonne Béa. Pour Regan, la fin - la maximisation du bien-être – ne justifie jamais les moyens.
- Singer tient à avoir le mot de la fin. « La justification la plus élaborée à ce jour des droits des animaux (de Tom Regan) se révèle donc incapable de fournir des arguments pertinents permettant de dépasser la position de l'égale considération des intérêts (position de Singer) pour fonder une théorie des droits. » (PhA160).

Ma subjectivité
Il faut à l'intellectuel confirmé et inscrit, un système homogène et logique en tous sens ; ce sera donc ou Regan ou Singer. Nous qui vagabondons en philosophie avons les coudées et pensées plus franches : nous pouvons panacher nos bulletins.
De Regan, nous apprécions ce respect de la vie comme cadre général ; nous lavons déjà rencontré au chapitre 6 avec Taylor et surtout, au sommet de l'Olympe, avec Albert Schweitzer. Singer fait converger les actions sur des priorités immédiates, tangibles : la souffrance et la violence infligées aux animaux d'élevage. Son utilitarisme est une sorte de méthode très utile, pour l'étude du cas par cas.

4 – Deux autres penseurs en éthique animale en prime
N'exposer que les pensées des deux principaux phares contemporains de l'éthique animale pourrait laisser croire qu'il n'y a rien en dehors d'eux. Il en va tout autrement. Pour se faire une idée de la richesse et diversité des débats, on se reportera à l'ouvrage : « Ethique animale » de Jeangène Vilmer (Vrin 2010). Et pour ne pas laisser (trop) prise à un reproche de présentation incomplète, quelques mots sur deux autres penseurs : Gary Francione et Martha Nussbaum. Nous les choisissons parce qu'un texte de chacun d'eux a été traduit et figure dans l'anthologie « Philosophie animale » (PhA).

Gary Francione.
Né en 1954 et professeur de philosophie dans une université américaine. C'est un abolitionniste pur et dur de toute exploitation animale. En cela il se sépare de Singer dont, par ailleurs, il critique l'utilitarisme. Bien que paraissant proche de Regan, il s'en distingue. D'abord par un style plus vif. Puis rappelez-vous ce que Regan met dans « sujet d'une vie » ; c'est trop pour Francione, la sensibilité à la douleur, à la souffrance suffit : « …j'ai soutenu que la sensibilité constitue à elle seule un critère suffisant d'intégration au sein de la communauté morale sans qu'il faille exiger la possession d'aucune autre caractéristique cognitive. » (Ph.188).
Qu'est-ce donc que c'est que cette « communauté morale » de Francione ? Appelons-en à une commentatrice, F. Burgat. La communauté morale comprend les agents moraux (ceux qui exercent droits et devoirs et bénéficient de droits) et les patients moraux (ceux qui ne peuvent exercer ni droits ni devoirs sans pour autant se voir dessaisir de droits qui leur sont attachés du fait de leur nature sensible).
Concrètement, Francione considère comme important de lutter contre cette situation détestable : l'animal comme propriété de l'homme. Voilà qui nous ramène aux questions juridiques abordées plus haut.

Martha NUSSBAUM
Philosophe américaine née elle aussi en 1954. L'éthique animale n'a pas l'exclusivité de ses réflexions. Elle a travaillé, travaille encore sur des sujets politiques, économiques, sociaux comme, par exemple, les relations développement / pauvreté. A l'instar de Singer, priorité au bien-être animal mais pour elle, l'objectif est la justice et non la compassion. (PhA242).
Son originalité est « l'approche par les capacités », elle l'a appliquée à l'homme dans un autre contexte que la philosophie animale, elle lui parait applicable à l'animal. « L'intuition morale fondamentale qui sous-tend cette approche a trait à la dignité d'une forme de vie qui possède à la fois des besoins profonds et un certain nombre de capacités, son objectif fondamental est de répondre aux besoins de telle sorte à rendre possible une riche pluralité d'activités de vie. » (PhA238). « Le respect des opportunités d'épanouissement des autres espèces suggère ainsi que la loi humaine doit inclure des engagements politiques positifs en faveur de la protection des animaux. » (PhA243).
Nussbaum liste une dizaine de principes fondamentaux pouvant guider lois et politiques :
- la vie. « [..] tous les animaux ont le droit de poursuivre leur vie qu'ils aient un intérêt conscient à le faire ou pas ». (PhA258).
- la santé physique. Droit à la vie saine.
- intégrité physique. « [..] les animaux ont des droits directs à l'encontre de toute violation de leur intégrité physique que cette dernière prenne la forme d'une agression violente, d'un abus ou de toute autre forme de tort (occasionnant de la souffrance ou pas qui peut leur être fait). » (Pha259).
- puis : sens, imagination, pensée / raison pratique / affiliation /autres espèces / le jeu / le contrôle de son environnement.
Jusqu'ici, tout penseur de la cause animale ne pouvait qu'être antispéciste et pour tout antispéciste estampillé comme tel, l'espèce était une notion nuisible, seul comptant l'individu qui souffre. Nussbaum rompt avec cette position. « Mais il semble que ce soit une erreur d'en conclure que l'appartenance à une espèce n'a aucune pertinence morale et politique. » (PhA247). Dans leurs exposés, Singer et Regan rapprochent animaux (par exemple ceux sujets d'une vie) et humains diminués parce qu'handicapés ou enfants. Pour Nussbaum, l'enfant qui souffre d'infirmités mentales diffère beaucoup du chimpanzé même si l'on admet que certaines de leurs capacités sont comparables.
Cette Martha Nussbaum est décidemment originale.

5 – la DUDA
Ni nom de personne ni danse sud américaine mais assemblage d'initiales : « Déclaration universelle des droits de l'animal ». Pour plus d'infos, aller sur le site « LFDA » ou lire le « Que sais-je ? » (PUF, 1997) : « La protection de l'animal » par Françoise Burgat.
La DUDA a été proclamée à la Maison de l'Unesco à Paris en 1978, lieu qui confère du prestige. Elle a été révisée en 1989. Une déclaration sur l'éthique alimentaire présentée à des organismes liés à l'ONU l'avait complétée en 1981.
La DUDA, volontairement, dans son titre, mime la Déclaration des droits de l'homme. Ses articles portent surtout sur l'animal exploité mais un peu aussi sur l'animal sauvage. Chaque animal a droit au respect, à l'existence. Le sauvage doit l'être dans le cadre des équilibres biologiques. L'élevage doit respecter la physiologie et le comportement propres aux espèces. Tuer un animal sans nécessité est un crime. Polluer, détruire des biotopes sont des génocides. Une des « considérations » préalables aux articles proprement dits, indique que « le respect des animaux est inséparable du respect des hommes entre eux ». La DUDA comporte deux annexes. La première en précise l'esprit : égalité des espèces, éthique, etc. La seconde rappelle ses bases biologiques : génétique moléculaire, génétique des populations, écologie, etc. La déclaration sur l'éthique alimentaire rassemble des articles sur la qualité de l'alimentation, le traitement des animaux élevés en batterie, l'amélioration de l'abattage rituel. Elle considère que l'homme est omnivore, qu'il ne peut se passer de viande, surtout l'enfant ; il faut donc chercher de la viande « alternative ». Cette acceptation de la viande tranche avec la position générale des partisans de la cause animale.
La DUDA a essuyé des tirs croisés. Des « spécistes », ceux pour qui l'animal est rien ou peu, la jugent « obscène » parce qu'elle met sur un même pied homme et animal. Des antispécistes la jettent à la poubelle ; ils y voient, masquée par des phrases guerrières, une acceptation de la situation. Soyons plus doux. Certes, par rapport à Singer, c'est du mou et par rapport aux positions du « bien – être », c'est du flou. Ce peut être aussi une étape de sensibilisation, aidant des secteurs de l'opinion publique à évoluer. Une étape louée par Marguerite Yourcenar (« Les yeux ouverts » Livre de poche). La DUDA – rédaction, sensibilisation - est le produit d'une association française : « La ligue française des droits de l'animal » (LFDA). Sur son site : études, exposés, informations de bon aloi. Un argument s'apprécie par son contenu et non par la notoriété de qui le défend ; pourtant, il n'est pas indifférent de savoir que Théodore Monod a travaillé pour et avec la LFDA.

6 - Combattre la nature au nom de l'animal ?
Vous regardez un film sur la nature sauvage. Pas de doute, vous priez pour que la gentille antilope échappe à la mâchoire du féroce carnivore qui la poursuit mais vous admettez que la vie soit ce qu'elle est. Des penseurs ou commentateurs ne l'admettent pas. A partir du moment où l'on se préoccupe de la souffrance animale de l'animal exploité ne faut-il pas se soucier de la souffrance de tous les animaux dont les sauvages ?
Peter Singer dans « La libération animale » (p339) écrit : « Il faut admettre pourtant que l'existence d'animaux carnivores pose un problème à l'éthique de la libération animale : devons-nous nous en préoccuper ? » Il pose que l'intervention humaine pourrait être justifiable puis il freine pied au plancher. A observer nos actions sur la nature, les impacts écologiques désastreux qui en résultent : prudence ! « Ne fût-ce que pour cette raison, il est juste de dire que sauf dans quelques cas très limités, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas essayer de policer toute la nature. Nous en faisons assez si nous éliminons les tueries et la cruauté inutiles que nous-mêmes infligeons aux autres animaux. » (p340). Donc ne pas moraliser la nature. J. B. Callicott, le penseur de l'éthique environnementale rencontré au chapitre précédent, explique : « Entreprendre de protéger les droits de tous les membres, pris un à un, d'un écosystème reviendrait en conséquence, à vouloir interrompre tous les processus trophiques au-delà de la photosynthèse… » (PhA314). Ce serait le choix de la catastrophe écologique. Gare aux Frankenstein, s'il s'en trouve vraiment, haïssant la nature, rêvant de manipuler les gros animaux afin qu'ils deviennent tous herbivores et bien gentils.
Ethique animale et éthique environnementale ont ce choix : naviguer ou naufrager ensemble.



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V - Paroles de maîtres

Convoquer Histoire et citations de maîtres a un petit air d'érudition genre jeux télévisés ou de « cultureux ». Soit ! Mais l'insertion du présent dans la continuité des siècles avec l'aimable et involontaire collaboration d'auteurs reconnus, respectés, permet d'évaluer les progrès et les stagnations et peut aussi servir de munitions intellectuelles lors de débats.
Beaucoup de que l'on a pensé jadis nous échappe. Il semble bien que la considération pour l'animal ne fut pas la chose la mieux partagée au moins dans son expression. L'on ne saura donc jamais bien si l'écrit de telle personnalité fut représentatif de populations ou voix dans le désert. Les anthologies brassent et rebrassent toujours le même petit noyau de gens et de faits. Brassons-le aussi. Nous nous appuyons sur une anthologie de textes en ligne : http://bibliodroitsanimaux.voila.net . (BDA dans ce qui suit).
Nos privilégions les « produits » de notre culture européenne parce que plus accessibles ; aussi, une piqûre de rappel est-elle nécessaire : ne pas oublier ces pensées d'extrême Orient (cf chapitre 4) sur le respect des êtres vivants qui ont atteint des sommets inconnus ailleurs - qui peut-être, aujourd'hui s'érodent -, bouddhisme zen, jaïnisme, bischnoïs, non violence, ahimsa.

Antiquité gréco-romaine
Cette antiquité, à tort ou à raison, fait figure d'époque de sages, il n'est pas donc pas indifférent d'y chercher des traces de sensibilité pour l'animal.
Au lointain 5e siècle avant notre ère : Pythagore. Surtout connu des collégiens pour son supposé théorème sur les carrés des côtés d'un triangle rectangle. Ce fut un philosophe grec qui inspira des sectes et dont la vie est toute entourée de légendes. Lui et ses disciples auraient été végétariens. Qu'en tirer ? Ils croyaient en la métempsychose : après la mort, l'âme quitte le corps pour en rejoindre un autre, ce dernier selon la qualité de vie menée sur terre par le défunt, est celui d'un homme ou d'un animal. Donc, en mangeant de la viande, on risque de consommer un grand-père ou une tante, ce qui ne serait pas très respectueux. Mais au fond, métempsychoses, métamorphoses et tous phénomènes de cet ordre, ne traduiraient-ils pas fondamentalement, par le biais de la continuité des âmes, un sentiment de proximité homme/animal ? Ovide, poète romain du début de notre, ère dans ses « Métamorphoses », attribue à Pythagore ces attitudes et ces propos : « [.] le premier il fit grief aux hommes de servir sur les tables la chair des animaux ; le premier , il tint ce langage plein de sagesse qui pourtant ne fut pas écouté. Abstenez-vous, mortels, de souiller vos corps de mets abominables. »
4e siècle et quelques suivants avant notre ère : les grands noms fondateurs de la pensée occidentale. Socrate qui n'a rien écrit, Platon dont on dit qu'après lui, les philosophes n'ont plus fait que mettre des notes en bas de pages de ses œuvres, Aristote. Chez Platon, le sens de l'animal parait absent, pourtant des lecteurs acharnés ont fini par dénicher des réflexions frôlant la cause animale : la cité saine est végétarienne (« La République), « Règne de Kronos, végétarisme et paix universelle » titre choisi par BDA pour un extrait de « Politique ». Aristote regarde la terre avant le ciel, il a écrit : « Histoire des animaux », « Parties des animaux », « Génération des animaux » ; son traité « De l'âme » - surprise ! – est un livre de sciences naturelles. Cela dit, avec lui on ne sait sur quel pied danser. D'un pied, il semble avoir vu, de l'animal à l'homme, une simple gradation des capacités, de l'autre, l'homme est une entité qui n'a rien à voir avec n'importe quelle autre espèce.
Après Platon, de nombreuses écoles ont fleuri, grecques puis romaines, stoïcisme, épicurisme, scepticisme, etc. Des zestes animaliers que des lecteurs tenaces repèrent. Voici donc Sénèque, figure du stoïcisme doux, qui servit Néron, patron qui lui octroya comme parachute doré, l'obligation de se suicider. Extrait d'une de ses lettres. « Touché au vif, je m'abstins de nourriture animale. Un an de ce régime me le rendit facile, agréable même. Je m'en trouvais l'âme plus agile et je n'oserais jurer aujourd'hui que c'était une illusion. ».
Voici le resplendissant Plutarque, écrivain grec mort en 120 de notre ère. Pendant des siècles, nul lettré, nul étudiant, puis, nul activiste de la Révolution française de 1789, n'a ignoré ses « Vies des hommes illustres. » Ici, nous le saisissons pour ses traités sur les animaux et sa défense du végétarisme. Dans celui intitulé « S'il est loisir de manger chair », il s'exprime comme l'Ovide d'à l'instant : « N'êtes vous point déshonorés de mêler à vos tables les fruits les plus doux à celui du meurtre et du sang ? » Dans « Que les bêtes brutes usent de raison. », il déforme avec malice un épisode de « l'Odyssée » d'Homère. Dans ce dernier, les compagnons du héros Ulysse sont transformés en porcs par la traîtresse Circé. Ca ne leur plait pas. Ulysse arrive, la déesse aux belles tresses, séduite, succombe, et efface le maléfice. Contre-scénario de Plutarque : les porcs refusent de redevenir hommes. Leur porte-parole, Gryllus, explique combien la vie animale est plus digne que la vie humaine. Dans « Quels animaux sont les plus avisés, ceux de la terre ou ceux de l'eau », il ne félicite pas le pêcheur, celui-ci « n'a rien qui puisse le mettre en réputation d'honneur ». C'est dans l'une de ses « Vies » (Caton) qu'il écrit, réagissant à nos comportements : « Car il n'est pas raisonnable d'user de choses qui ont vie et sentiment tout ainsi que nous le ferions d'un soulier. »
Porphyre, philosophe grec mort en 305 de notre ère. C'est un habitué des anthologies animales. A ses yeux, seuls les impies consomment de la viande. Il a écrit « De l'abstinence » dont le texte complet est disponible sur le site BDA. Il associe à sa pensée un ancien, Théophraste, mort au 3e siècle avant notre ère. On aime qualifier ces deux anciens – Porphyre et Théophraste – de quasi pères de la cause animale. Tout petit extrait de « De l'abstinence » (Livre troisième, paragraphe XIX) : « Ce serait outrer les choses que de comparer les plantes aux animaux car ceux-ci ont du sentiment. Ils sont susceptibles de douleur et de crainte : on peut leur faire du tort et par conséquent commettre de l'injustice à leur égard ».

Triste versant de cette antiquité : les monothéismes, judaïsme, christianisme puis, plus récemment Islam dont la considération pour les animaux laisse à désirer.

Moyen – Age
Sombre époque même si l'on exagère sur cette obscurité. Le christianisme y fut omniprésent, puissant avec rien de doux pour l'animal. Les agents de l'Eglise officielle reconnaissaient les Cathares dont certains brûlèrent à Montségur, en 1244, à ce que ces derniers étaient végétariens. Respecter l'animal était hérétique.
Comptons-nous pour rien St François d'Assise (mort en 1226) (Cf un chapitre précédent) ? Mais le saint fut-il vraiment en harmonie avec les fois religieuses de son temps ? Ou son principal miracle ne fut-il pas d'échapper aux bûchers de l'Inquisition ? A présent, il est à la mode, le Vatican l'a nominé patron des écologistes en 1979. D'autre bienheureux de son temps auraient pu concourir car bienveillants pour les bêtes, St Antoine de Padoue, celui qui aide à retrouver ses clés perdues, par exemple. Ces exemples, d'une certaine façon, ne montrent-ils pas que si les chrétiens le veulent, foi et respect de l'animal peuvent coexister ?
Les procès d'animaux sont une curiosité du Moyen Age qui se prolongea jusqu'en des siècles estimés plus éclairés. Procès d'un porc condamné et brûlé en 1226 à Fontenay les roses, rats jugés à Autun, excommunications – procédures complexes – de mulots à Laon en 1120. Egalement troublant l'écrit d'un évêque de Paris, au 12e siècle soutenant qu'homme et ours peuvent s'accoupler. Des faits étonnants, farfelus que l'on ne peut comprendre qu'en supposant, à nouveau, que les mentalités d'alors acceptaient une parenté animal/homme.

Renaissance
Usant du découpage des temps généralement employé, faisons coïncider Renaissance et 16e siècle.
Les intellectuels redécouvrent l'Antiquité, ils remettent en question l'enseignement ecclésiastique. L'animal recouvre t-il un peu de sa dignité ? Bien savant qui répondra. Deux grandes figures lèguent leurs propos aux militants actuels. Léonard de Vinci (mort en 1519) ne fut pas seulement le peintre de la Joconde mais un génie universel. Il fut défenseur des animaux exploités, végétarien.
Montaigne (mort en 1592). Des réflexions sur la nature et les animaux parsèment ses « Essais », source inépuisable de citations. Avec la chasse, notre gentilhomme ne voit pas « sans déplaisir poursuivre et tuer une bête innocente qui est sans défense et de qui nous ne recevons aucune offense ». « Les naturels sanguinaires à l'endroit des bêtes témoignent une propension naturelle à la cruauté. » Montaigne se démet de cette royauté imaginaire qu'on nous donne sur les autres créatures. « C'est par vanité [.] qu'il (l'homme) s'égale à Dieu [.] qu'il se trie soi-même et sépare des autres créatures [.] et leur (les animaux) distribue telle portion de facultés et de force que bon lui semble. »

Temps modernes
Des historiens font partir cette période de la Renaissance et l'achève avec la Révolution française.
En ouverture, le national et terrible René Descartes (mort en 1650), encore un père de la philosophie occidentale, qui octroie à l'homme (« Discours de la Méthode », 6e partie) la qualification de « maître et possesseur de la nature ». L'animal devient une machine (5e partie). Une belle machine cela dit « qui ayant été faite des mains de Dieu est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventée par les hommes. » Des érudits expliquent qu'il faut relativiser mais le mot machine est bel et bien écrit. Malebranche (mort en 1715), philosophe et prêtre pervers, adorateur de Dieu et de Descartes, comparait les cris du chien qu'il battait à une horloge qui sonne l'heure. Toutefois, l'autorité de Maître René fut tôt contestée ; la bonne société qui aimait ses chats et ses chiens a regimbé. Dont la bonne Madame de Sévigné des fameuses lettres. « Des machines qui aiment, des machines qui ont une élection pour quelqu'un, des machines qui sont jalouses, des machines qui craignent. Allez, allez, vous vous moquez de nous : jamais Descartes n'a prétendu nous le faire croire. » (Cité dans Chapouthier « Le respect de l'animal dans ses racines historiques », LFDA). Hélas si, Madame la Marquise.
Meslier (mort en 1729) fut curé dans un bourg des Ardennes. Il est pour beaucoup d'entre nous, un illustre inconnu. Mais le philosophe Michel Onfray s'éprend de lui avec une telle fougue (« Contre histoire de la philosophie », tome 4, Grasset 2007) que nous éprouverions du remords à ne pas vous le présenter. Donc, Meslier est pour Onfray un curé athée, une bombe philosophique, un combattant qui s'oppose à des ecclésiastiques dédaignant soulager la misère des pauvres mais se précipitant pour bénir la turpitude des riches. Il défend une éthique de la pitié pour l'homme et aussi l'animal. Onfray écrit : « S'il (Meslier) devait consentir au végétarisme, ce ne serait pas à partir de déductions intellectuelles mais au regard de cette incapacité à soutenir le spectacle de la douleur et de la souffrance des animaux et, partant, de tout autre être vivant. » (Pour info : 2 textes de Meslier sur le site BDA).
Voltaire et Rousseau deux lumières des « Lumières » deux monuments historiques. Voltaire. Demandez à des amis de le caractériser rapidement, aucun d'entre eux, probablement, ne songera à parler de sa défense du végétarisme. C'est exprimé épars dans ses ouvrages. Il est possible, dit-on, qu'une santé déficiente ait conforté cette position : c'est à un médecin qu'il écrit qu'il ne mange ni viande ni poisson. Cet arbre ne devrait pas nous cacher la forêt. Un petit ouvrage (Voltaire « Pensées végétariennes », Ed Mille et unes nuits, 2014) rassemble quelques unes de ses réflexions et mises en scène. Deux prélèvements : « Qu'y a-t-il pourtant de plus abominable que de se nourrir continuellement de cadavres ? » et « Quelle pitié, quelle pauvreté, d'avoir dit que les bêtes sont des machines privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n'apprennent rien, ne perfectionnent rien, etc. ? »
Rousseau, enfin, le voici, beaucoup plus prolixe sur l'animal que Voltaire, son compère détesté. Il a sous le bras son « Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité des hommes ». Du temps a passé mais y recourir n'est pas perdre son temps. Rousseau situe l'homme, ce dernier ne diffère de l'animal que par du plus ou du moins, évolution par degré et non coupure infranchissable. Il ne se distingue vraiment de l'animal, non pas tant par la raison mais parce qu'il est libre : l'animal obéit à la nature, l'homme peut refuser. Ca fait un peu court aujourd'hui mais ce fut formulé au 18e siècle. Tel un précurseur de la cause animale, il pointe la souffrance animale. Dans la préface du « Discours », il écrit que parmi les principes antérieurs à la raison, l'un d'eux « nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables ». Pas très loin, il enfonce le clou : « [.] parce qu'il est un être sensible qualité qui étant commune à la bête et à l'homme, (l'homme) doit au moins donner à l'une le droit de ne pas être maltraitée inutilement par l'autre ». La première partie du « Discours » porte sur l'homme sauvage, celui d'avant l'accapareur du « ceci est à moi » qui fonda la civilisation. Dès si ce n'est avant ce stade, Rousseau pense que la pitié est l'homme, il s'accorde avec l'un de ses confrères pour dire qu'en dépit de leur « raison », les hommes, sans elle, n'auraient été que des monstres. La commisération sera d'autant plus forte que l'animal spectateur s'identifiera avec l'animal souffrant. Rousseau regrette que la réflexion replie l'homme sur lui-même.
Dans cet autre best-seller, « Emile ou de l'éducation », au livre second, sans aucune précaution littéraire, il reproduit un long extrait du traité « S'il est loisible de manger chair » de Plutarque, cela veut dire quelque chose. Relevons que Rousseau s'est intéressé aux « enfants sauvages » ou enfants loups ; il paraîtrait que dans la plupart des cas, il ne s'agissait que de rumeurs infondées ; il n'empêche, il y avait là le souci d'explorer la parenté homme / animal.
Fin de cette tranche de temps avec Kant (mort en 1804), super père de notre philosophie qui, pour nombre de penseurs est, si vous permettez le mot, inkantournable. Pour lui, seul l'homme a une valeur en soi, êtres vivants et nature sont à sa disposition. S'il s'oppose toutefois à des comportements violents sur l'animal c'est qu'il craint qu'ils ne conduisent à des comportements semblables sur l'homme. « On peut déjà juger du cœur d'homme au traitement qu'il réserve aux animaux. » écrit-il. Cela dit, beaucoup de penseurs d'éthique animale ou environnementale ont consommé des tonnes d'encre soit pour le « dépasser », soit pour le mettre à leurs côtés.

De la Révolution à nos jours
a – 19e siècle. Siècle de Darwin qui remit à l'heure les pendules de l'humanité quant à l'animalité et l'ensemble du monde vivant. Voici un choix de quelques célébrités s'étant exprimé sur cette animalité.
Lamartine (mort en 1869). Le poète romantique du : « O temps suspends ton vol ! » Des textes sur le site BDA dont ces vers :
« Et tu ne verseras aucun sang sur la terre,
Ni celui des humains, ni celui des troupeaux,
Ni celui des poissons, ni celui des oiseaux,
Un cri sourd dans ton cœur défend de le répandre,
Car le sang est la vie, et tu ne peux la rendre. »
On attribue à Lamartine cette répartie visant ceux pour qui on aime soit l'homme, soit l'animal : « On n'a pas deux cœurs, l'un pour l'homme, l'autre pour l'animal…On a un cœur ou on n'en a pas. »

Michelet (mort en 1874). Historien, auteur d'ouvrages toujours en librairie comme « Histoire de France ». On oublie ses essais naturalistes (ex : « L'Insecte »). D'un texte sur BDA, ces lignes : « L'animal, sombre mystère !...monde immense de rêves et de douleurs muettes ! [.]Toute la nature proteste contre la barbarie de l'homme qui méconnaît, avilit, qui torture son frère inférieur. »

Victor Hugo (mort en 1885) Monstre sacré dont les plus ignares d'entre nous connaissent le nom ne serait-ce que parce que c'est celui de nombreux boulevards. Des témoignages de son respect de l'animal se découvrent aux hasards de lecture. Ainsi dans « La légende des siècles ». La liberté de l'oiseau avait pour lui une valeur symbolique :
« De quel droit mettez-vous des oiseaux dans des cages ?
De quel droit ôtez-vous ces oiseaux des bocages ?
Aux sources, à l'aurore, à la nuée, aux vents ?
De quel droit volez-vous la vie à ces vivants ? »
Et encore :
« Pas de bêtes qui n'ait un reflet d'infini
Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche
L'éclair d'en haut, parfois tendre et parfois farouche
Pas de monstre chétif, louche, impur, chassieux,
Qui n'ait l'immensité des astres dans les yeux.
Hugo fustigea la chasse :
« Ce gai chasseur, armant son fusil ou son piège,
Confine à l'assassin et touche au sacrilège. »
E. de Fontenay, philosophe, dans son « Le silence de bêtes » (Fayard 1998) nous dit que Hugo et d'autres dans leur combat pour la justice ne dissociaient pas les hommes des animaux : « Car en ces temps-là, et ce fut vrai de Hugo puis de Péguy comme de Michelet, il allait presque de soi que l'humanisme démocratique inclue une réflexion sur un possible droit des animaux. » (p. 617).

Flaubert (+1880). Romancier auteur de « Madame Bovary » et de « Salammbô ». Les abattoirs l'horrifient : « J'ai cherché à retrouver quelque chose des agonies humaines dans ces égorgements qui bramaient et sanglotaient. J'ai songé à ces troupeaux d'esclaves amenés là, la corde au cou et noués à des anneaux pour nourrir des maîtres qui les mangeaient sur des tables d'ivoire, en s'essuyant les lèvres à des nappes de pourpre. »

Zola (1902). Parmi les titres de gloire de sa saga « Le cycle des Rougon-Macquart » : « Germinal » ou « L'Assommoir ». Il exprime son amour des bêtes dans un article paru dans le « Figaro » (1896). « Pourquoi la souffrance d'une bête me bouleverse-t-elle ainsi ? [..] Pourquoi toutes les bêtes de la création sont-elles mes petites parentes ? [..] Pourquoi les bêtes sont-elles toutes de ma famille, comme les hommes, autant que les hommes ? »

Incursions hors frontières.
Shelley (1882). Poète romantique anglais, âme tourmentée avec plein de musique dans ses vers, si la traduction est bonne ! Dressé contre toutes les violences.
« Jamais plus le sang des oiseaux et des bêtes
Ne pourra souiller de ses flots venimeux un banquet humain,
Fumant vers le pur ciel en guise d'accusation. »

Thoreau (1862). Auteur de « La désobéissance civile » qui fut un livre de chevet de Gandhi et aussi de « Walden ou la vie dans les bois » qui fut, qui reste celui de nombreux écologistes. « Quelle que puisse être ma propre manière d'agir, je ne doute pas que la race humaine, en son graduel développement, n'ait entre autres destinées celle de renoncer à manger des animaux… ».

Tolstoï (1910), romancier russe auteur de « Guerre et Paix », d' « Anna Karénine » et qui fut végétarien. Voulant que l'on se rende bien compte de ce que cela signifie que de manger de l'animal « avait fait apporter à table, devant l'assiette d'une de ses tantes obstinément carnivore, un poulet vivant et un couteau afin qu'elle procédât, de ses propres mains, à la mise à mort. » (E. de Fontenay, « Le silence des bêtes » p175).

Les anarchistes ne veulent ni dieux ni maîtres. Il en est qui n'en veulent pas non plus pour les animaux. Ainsi Louise Michel, femme extraordinaire. Hugo vit en elle une réplique de la Judith de la Bible, Girardet, le peintre la représenta, Clemenceau –futur Père-la- Victoire de la première guerre mondiale - la soutint moralement et financièrement. Elle joua un rôle majeur dans la « Commune » de Paris (1871).Parce que communarde, elle fut déportée en Nouvelle-Calédonie en 1871, elle y resta jusqu'en 1880. Là-bas, elle devint anarchiste. Anti-raciste, elle s'opposa à certains de ses compagnons d'infortune qui voulurent exploiter les autochtones, les Kanaks. Elle fut féministe. Elle défendit l'animal. « Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu'il me souvienne, l'horreur des tortures infligées aux bêtes. », « On m'a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens : pourquoi s'attendrir sur les brutes quand les êtres raisonnables sont si malheureux ? C'est que tout va ensemble, depuis l'oiseau dont on écrase la couvée jusqu'aux nids humains décimés par la guerre. [..] Et le cœur de la bête est comme le cœur humain, son cerveau est comme le cerveau humain, susceptible de sentir et de comprendre. On a beau marcher dessus, la chaleur et l'étincelle s'y réveillent toujours. »

b - 20e siècle
F. Garcia Lorca, poète espagnol que les franquistes fusillèrent en 1936. Il observe les abattoirs de New York.
« Tous les jours, on tue à New York
Quatre millions de canards,
Cinq millions de porcs
………………….
qui font voler les cieux en éclat. »

Romain Rolland (1914), nous lui avons serré la main au chapitre 5. Romancier et maître à penser en son temps, écrit dans son roman-fleuve « Jean-Christophe » : « Mais des milliers de bêtes sont massacrées inutilement, chaque jour, sans l'ombre d'un remord. Qui y ferait allusion se rendrait ridicule. – Et cela c'est le crime irrémissible. A lui seul, il justifie tout ce que l'homme pourra souffrir. Il crie vengeance contre le genre humain. Si Dieu existe et le tolère, il crie vengeance contre Dieu. »

Colette (1954) qui aurait aimé diriger le zoo de Paris afin d'y mettre un peu d'humanité. (3 textes sur BDA)

Paul Claudel (1955), poète et surtout dramaturge, académicien et diplomate. Il écrivit un »Bestiaire spirituel » d'où sont tirées ces phrases (dans E. de Fontenay, « Le silence des bêtes », p256) : « Il ne faut même pas dire le rat, le chien, mais tel rat, tel chien. Chacun d'eux a une personnalité et un nom propres. Chacun d'eux se développe dans les limites d'une charte qui dépasse la nécessité utilitaire. Chacun a à réaliser son propre poème, à jouer son propre personnage, à se servir pour son compte des moyens de la tribu. »

Sartre (1980). Cela étonne de le trouver là, lui, le pape de l'existentialisme ou le soutien intellectuel des révolutionnaires d'extrême gauche. Il ironise, ici, sur la mauvaise foi du gentleman Carnivore voulant ignorer l'origine de ce qu'il mange. « Ce carnivore distingué mange un " chateaubriand " étrange objet portant le nom d'un écrivain et sculpté dans une matière indéfinissable mais il refuse (curiosité malsaine) d'aller aux abattoirs. S'il y va, l'abattoir surgit dans le monde bourgeois en pleine lumière : il existe, le chateaubriand est de la viande d'animal mort. »

Marguerite Yourcenar (1987) Ecrivain(e), première femme élue à l'Académie française. Sa phrase : « Il me déplait de digérer des agonies. » (dans son « L'oeuvre au noir » court sur Internet. Elle ne digérait pas la chasse non plus : « L'homme a trouvé à y satisfaire son goût du risque et des prouesse physiques, sa vanité et sa jactance, et surtout sa férocité innée. » Cette situation insensée - ne pas faire faire souffrir l'animal exige du courage – la scandalise. « Tu ne feras pas souffrir les animaux ou du moins tu ne les fera souffrir que le moins possible. Ils ont leurs droits et leur dignité comme toi-même » (cela) « est une admonestation bien modeste ; dans l'état actuel des esprits, elle est, hélas, quasi subversive. Soyons subversifs. Révoltons-nous contre l'ignorance, l'indifférence, la cruauté qui d'ailleurs ne s'exercent si souvent contre l'homme que parce qu'elles se sont fait la main sur les bêtes. »

René Char (1988), poète et résistant français. Phrase qui percute ceux qui pensent aux animaux des zoos et des cirques : « Ceux qui regardent souffrir le lion dans sa cage pourrissent dans la mémoire du lion. » (Cité dans Fontenay, « Le silence des bêtes », p 520).

Le groupe de philosophes dit « l'Ecole de Francfort » a marqué son siècle. Il a « fonctionné » entre la fin de la 1re guerre mondiale et un peu après la fin de la 2e. Discussions sur le marxisme, le fascisme, le rôle de la raison ; des militants des évènements 1968 s'y sont référés explicitement. Certains de ces philosophes – Adorno, Horkheimer - se sont interrogés sur la violence et donc, tout naturellement, sur la violence à l'encontre de l'animal. On a cru que la formule « Auschwitz commence lorsque quelqu'un regarde un abattoir et se dit : ce ne sont que des animaux » était d'Adorno. Elle n'est que d'un commentateur mais l'on convient qu'elle est tout à fait dans l'esprit de ce qu'écrivait le penseur. Le rapprochement élevage industriel/ camps de concentration nazis peut choquer, peut paraître injurieux pour les victimes du nazisme mais il est intéressant de savoir qu'Adorno et d'autres du « Groupe de Francfort étaient juifs, ont dû fuir l'Allemagne et savaient parfaitement évaluer la pertinence de la comparaison.

Tout en haut du palmarès de ce 20e siècle, mettons Gandhi, extrême oriental et aussi, pour une part, occidental et dont la pensée et l'action inspirent encore sur la planète, Selon lui, l'on reconnaît le degré de civilisation d'un peuple à la manière dont il traite ses animaux. A son niveau : Albert Schweitzer et son respect de la vie, Claude Lévi-Strauss qui espère que les gens du futur n'auront pas pour nous la répulsion que nous-mêmes avons pour les cannibales du passé.

Puissent des célébrités de maintenant prendre le relais des célébrités du passé soucieuses de l'animal.



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VI – Les désagréments de la chair
Ethiques animale et environnementale : même objectif.

Au socle de ce chapitre : le respect et la souffrance de l'animal. Complétons, en les résumant, par les effets de la consommation de viande sur la santé et la nature.
Cadrage. Consommation de viande par personne et par an pour toute la planète : 40 kg. Pour les pays émergents : 30kg. Pour la France : de l'ordre de 100 Kg. Perspective pour 2050, forte augmentation de cette consommation, le double de ce qu'elle est aujourd'hui.

Santé
(Premier niveau, souvent le seul niveau préoccupant tout un chacun).
Trop de viande. Eleveurs et professionnels de la viande disent que nous pourrions en consommer plus, à leur place nous dirions pareil. Pourtant le consensus selon lequel nous en mangeons trop, selon lequel cela est nocif, s'élargit en pays occidentaux. Les maladies qui par ce trop nous tombent dessus sont les cardio-vasculaires. Ajoutez cancers de l'intestin, obésité, hypertension, diabète de type 2, etc. Des « etc. » qui prolifèrent. Les intoxications alimentaires, des millions de morts de par le monde, ont principalement comme cause la viande. Bref : des pathologies chroniques ou accidentelles, parfois mortelles.

Viande malsaine. Malsaine parce que venant d'élevages intensifs. Pour que l'animal ne soit jamais malade, se développe tel que commercialement rentable, besoin de montagnes d'antibiotiques, hormones et ce, tant en préventif qu'en curatif. Ces produits peuvent aller jusqu'à nos estomacs, nos organismes. Ils altèreront nos résistances aux infections (virus et bactéries devenant résistants aux traitements). Par ailleurs, se rappeler les farines animales et la « vache folle ». Des maladies animales peuvent être transmissibles à l'homme, maladies provoquées par des concentrations animales (surtout en Asie ?) et pouvant être à l'origine de pandémies mondiales.

Pas assez de viande ou trop peu de viande est-ce nocif ?
Deux groupes de population en cause :
- Celui d'hommes ne mangeant pas à leur faim parce la viande n'est pas disponible ou trop chère ou qui, au contraire, n'ont que de la viande de leur bétail ou presque, comme nourriture à leur disposition. Pas de choix donc.
- Ceux qui, par choix, ne mangent pas ou peu de viande. Végétariens, végétaliens représenteraient environ 5 % de la population française ; parmi eux, beaucoup seraient motivés en premier lieu, par des considérations diététiques et non par le souci de la souffrance animale.
Quels impacts de la petite ou non – consommation ?
Nous avons besoin de protéines pour vivre ; à défaut d'animales, il faut compenser en quantité et qualité, par des végétales. Les éléments indispensables à notre corps et surtout présents dans la viande serait : fer, vitamine B12, zinc, sélénium ; s'ils manquent nous risquons des carences, les enfants surtout. Des experts partisans du végétarisme exposent que tous ces éléments peuvent trouvés hors viande. Il suffit d'être informé et d'y concentrer son attention. Difficile pour le français moyen et pour le moment, d'avoir des certitudes là-dessus, de trancher entre des exposés imperturbables venant soit d'intérêts économiques qui ne veulent pas perdre de marchés, soit d'éthiques qui ont l'allure de croyances.

Ecologie
- Ecosystèmes. Le bétail représente désormais 20 % de la masse totale vivante terrestre (biomasse terrestre), pourcentage considérable. Pour cette quantité, il faut terre et eau, éjecter les autres espèces vivantes c'est-à-dire les sauvages. Les espaces naturels qui de ce fait disparaissent sont eux aussi considérables : par exemple, - pour prendre des cas médiatiques oubliant peut-être les situations locales – 70 % de la forêt amazonienne sont détruits et remplacés par des cultures pour l'alimentation animale, cultures qui reçoivent leurs abondantes doses de pesticides.
- Consommation de terres, d'espaces. L'élevage avec pacages plus cultures destinées à l'alimentation animale représente 30 % des terres émergées, 70 % des terres dites cultivées dans le monde (même chiffre pour la France).
- Effet de serre par tout ce qui contribue à la production de viande en y incluant aussi le méthane rejeté par les animaux : 20 % du total de l'émission de gaz à effet de serre ce qui est quand même plutôt élevé ! Illustration : ne pas manger de viande un jour par semaine pendant une année, équivaudrait à l'économie d'un trajet de 1.000 kilomètres (« Impact environnemental de la production de viande » fiche Wikipédia lu en mai 2014).
- Ressources fossiles (sous l'angle de leur consommation, gaspillage énergétique et épuisement de la ressource, problème différent de celui de leur contribution à l'effet de serre). La production de protéines animales demande 8 fois plus d'énergie fossile que la production de la même quantités de protéines végétales.
- Consommation d'eau. Pour l'élevage seul : environ 10 % de la consommation humaine d'eau potable, il faut ajouter 7 % pour l'irrigation de terres destinées à des cultures liées à la consommation animale. Illustration : la production d'un kilo de viande de bœuf consomme autant d'eau que les douches d'un individu pendant un an (fiche Wikipédia ci-dessus). Comparaison : 1 kg de viande exige 14.000 litres d'eau, 1 kg de pommes de terre en exige 500 kg.
- Près de chez soi. Pour l'élevage, dites Bretagne, pas besoin d'insister. L'odeur qui vous y importune est la plus anodine des agressions environnementales. Les algues vertes sont la partie émergée d'un vaste système de pollutions qui empoisonnent cours d'eau, océan et sols.
- Cultures industrielles, intensives. Se rappeler que les monocultures à nocivité maximale comme le maïs - nocivités liées aux pesticides, aux engrais, à la consommation intense d'eau - ont l'alimentation du bétail comme principal débouché.
- Nourrir le monde (site FAO).
La population va continuer à croître et pour un terrien vivant la quantité consommée de viande devrait croître elle aussi. Conclusion, il va falloir produire beaucoup de viande, beaucoup plus qu'actuellement. Ca parait imparable. Ca ne l'est pas, c'est impossible à terme. Produire plus de viande nécessitera de l'espace, de l'eau, davantage que la planète ne peut en fournir. Pire, les espaces utiles pour les cultures et les prairies décroissent salinisation, érosion, désertification, pollutions, surexploitations.
La même chose dite ou redite autrement.
- 40 % des céréales dans le monde nourrissent le bétail et pas directement l'homme.
- la production d'une calorie animale exige la consommation de 3 à 10 calories végétales.
- si chaque humain consommait autant de viande qu'un européen, il faudrait deux planètes pour produire simplement les céréales nécessaires au bétail.
Moins de viande et plus de végétal, seule solution pour que l'homme puisse poursuivre sa route.
Peu de gens y portant attention doutent de la véracité ou au moins de la plausibilité de ce qui précède mais tous, humbles ou puissants, tenons à n'en rien savoir.

« Si nous devions choisir une seule action en faveur de l'équilibre écologique et de notre santé, ce serait de manger moins de viande. » (David Servan-Schreiber, Avril 2008).



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